La consommation, du plaisir à la compulsion

Dépenser pour se sentir mieux : c’est le credo de l’économie de marché et du marketing depuis le 18e siècle, au risque de susciter de nouvelles pathologies comme l’achat compulsif.

photo illustrant l'addiction à la consommation

© BRITT ERLANSON/GETTY IMAGES

La surconsommation n’est pas un trait caractéristique de la société moderne. Dès l’Antiquité, des philosophes grecs comme Platon dénoncent le fait de « vouloir plus que sa part » comme une déviance, voire un tabou du même ordre que l’inceste, rappelle le philosophe Dany-Robert Dufour dans son ouvrage Pléonexie (Le Bord de l’eau, 2015). Bien plus tard, à l’inverse, consommer à outrance est devenu mieux accepté et parfois même valorisé. À partir du 18e siècle, des pionniers de l’économie et des sciences sociales encouragent le commerce, le luxe, et plus généralement une nouvelle religion conquérante : le marché. Le sulfureux Bernard Mandeville soutient même, dans La Fable des abeilles (1714), que la consommation d’alcool, de drogues ou encore la prostitution ne devraient pas être refrénées, au motif qu’elles bénéficieraient à la société civile et à la richesse publique dans leur ensemble. Un siècle plus tard, la révolution industrielle renforce encore l’appétence des individus pour l’achat de biens. L’offre devenant largement supérieure à la demande, tous les subterfuges sont bons pour trouver des débouchés aux industries américaines et européennes. Parallèlement, dans L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme (1904), le sociologue Max Weber estime que la pensée calviniste justifie non seulement le labeur, mais aussi notre désir de biens : Dieu nous aurait certes fourni le nécessaire, mais aussi des choses pour notre plaisir et notre délectation.

Le capitalisme s’appuie dès lors sur le marketing, technique de l’addiction marchande par excellence, pour accroître en permanence les quantités achetées et donc encourager la surconsommation de substances, produits ou expériences. Et comment accroître la demande, si ce n’est en faisant en sorte que les clients achètent plus et plus souvent ? Cette logique d’intensification de la consommation est largement relayée par l’apparition des grands magasins (Le Bon Marché en 1852, Les Galeries Lafayette en 1893) et du libre-service, qui permettent aux clients de flâner dans de véritables îles de la tentation et de pouvoir toucher les marchandises sans l’intermédiaire d’un vendeur. Le psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault observe alors un nouveau rapport érotique à la marchandise et fait déjà mention à l’époque de vols compulsifs. C’est aussi à cette époque qu’apparaît dans le champ psychiatrique l’idée « de fièvre acheteuse », décrite par le psychiatre allemand Emil Kraepelin comme une « oniomanie », affection entrant dans le champ des monomanies – une préoccupation virant à l’obsession délétère.