La culture juridique à la croisée des savoirs

Dictionnaire de la culture juridique.
Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Puf/Lamy, 2003, 1680 p., 45 €.
Ce dictionnaire original promeut une vision du droit ouverte sur les autres disciplines des sciences humaines. Un encouragement pour celles-ci à s'intéresser davantage au droit, devenu essentiel dans notre société ?

Le droit ne manque pas de dictionnaires, loin s'en faut. Dictionnaires de droit privé, de droit administratif, de droit pénal, de droit public, de droit constitutionnel... abondent sur le marché. Souvent techniques et destinés aux seuls juristes ou étudiants en droit, ils laissent en général le lecteur non spécialiste dans un certain désarroi lié à la complexité et à la technicité du propos. Le nouveau Dictionnaire de la culture juridique n'est pas de ceux-là et comble un vide. En effet, il est de plus en plus admis qu'on ne peut plus faire l'impasse sur le droit et que cette discipline est indispensable pour qui veut comprendre notre société et ses évolutions. L'atteste entre autres exemples la mise en place au lycée d'un enseignement intitulé ECJS, éducation civique, juridique et sociale, qui a notamment pour mission d'initier les élèves à quelques rudiments du droit, sans lesquels il n'est guère possible de penser l'immigration, le travail, la liberté ou la citoyenneté. On convient donc aujourd'hui que la culture générale doit faire la part belle au droit et à son histoire. Mais il manquait sans doute un outil intelligent capable de rendre accessible les notions importantes de la tradition juridique et de ses domaines. Le Dictionnaire de la culture juridique répond à ce besoin.

L'un des enjeux de cet ouvrage est précisément de montrer que le droit ne peut pas être appréhendé uniquement comme une discipline technique car il pose des questions sociales, politiques et philosophiques cruciales. On s'en convainc d'emblée en parcourant la liste des entrées. Si l'on trouve des articles un peu pointus, on remarque surtout des notions générales telles que « Egalité », « Guerre », « Hôpital et hospice », « Villes », « Races et racismes », « Mariage » ou « Santé », qui retracent l'évolution juridique de ces termes. Il n'est en effet guère possible de tenter de comprendre ces notions sans revenir sur la tradition juridique qui les a façonnées et qui interagit avec les mutations de nos sociétés. L'approche historique est de ce fait clairement revendiquée par Denis Alland et Stéphane Rials, les deux chefs de file de l'ouvrage : « La formation juridique ne saurait faire l'économie d'une solide dimension historique : elle ne revêt aucun caractère passéiste ; elle autorise l'indispensable familiarité avec les méthodes et les constructions qui sont au coeur de l'art propre du juriste. » L'article « Enfant » par exemple, signé par Daniel Gutmann, professeur de droit à l'université de Paris-I, montre l'avènement de ce concept dans le droit français en trois phases ou plutôt, car il y a coexistence, trois modèles étroitement liés à l'évolution des mentalités. La figure du mineur qui a longtemps prévalu définit l'enfant par son incapacité juridique : il ne peut exercer ses droits que par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Si ce modèle perdure, une nouvelle conception de l'enfant est ensuite apparue fondée davantage sur des considérations psychologiques. Dès les années 50, l'accent est mis sur l'intérêt de l'enfant lié à une certaine stabilité affective. Enfin, le troisième et dernier modèle parachève cette évolution en s'appuyant sur l'idée de droits de l'enfant qu'affirme avec force la Convention internationale des droits de l'enfant adoptée en 1989. Ce modèle qui fait de l'enfant un sujet de droit doté d'intérêts particuliers a partie liée avec les droits de l'homme en général et amène nécessairement une redéfinition des institutions familiales. L'enfant apparaît alors comme une notion juridique construite au fil d'une longue histoire. Véritable outil de réflexion et d'analyse, ce dictionnaire est par conséquent loin d'être un simple glossaire aussi utile puisse-t-il être. Chaque entrée donne lieu à un article développé qui, outre des indispensables corrélats, est également accompagné d'une bibliographie actualisée.