La décroissance, ou la critique radicale

Citée dans le débat sans toujours être comprise, la décroissance est moins la défense de la croissance négative qu’un ensemble de débats se retrouvant sur une critique radicale d’un salut du monde par la croissance, l’économie ou le développement durable.

La décroissance fait irruption dans le débat écologiste français avec le lancement en 2004 du journal La Décroissance par Bruno Clémentin, Vincent Cheynet et Sophie Divry. Contrairement à ce que l’on entend souvent, ce courant, regroupant des personnalités variées aux débats souvent vifs entre eux, prône moins une croissance négative qu’une sortie de la logique de croissance – de la religion de la croissance – et de l’économisme entendu comme la vision du monde à travers les seuls critères quantitatifs, approche incapable de penser les limites. Pour cette raison, ils se définissent comme des objecteurs de croissance et non des décroissants. La décroissance est moins une école de pensée qu’un champ de débats, une critique de non-économistes (journalistes, anthropologues, politistes, anciens publicitaires, artistes…) ou d’économistes hétérodoxes adressée à la pensée économique dominante et surtout à sa réalité concrète et à son imaginaire : « Décoloniser l’imaginaire », selon l’expression de l’économiste Serge Latouche, est l’un de leurs mots d’ordre.

 

Les limites de la croissance

Bien que ne se définissant pas tous comme écologistes, ils reprennent les bases de la pensée écologiste dans sa radicalité originale. Contre l’évidence des trente glorieuses d’un bonheur qui passe par l’opulence matérielle – cohérente avec toute la pensée économique classique qui cherche à développer la richesse des nations –, la critique écologiste pointe à la fois l’incohérence des indicateurs de croissance (polluer/dépolluer fait s’accroître le PIB), les limites naturelles de cette croissance (épuisement des ressources naturelles, pollution), et son incapacité à rendre les gens heureux. Si, en 1972, les limites de la croissance pointées par le club de Rome sont la raréfaction de l’eau, de l’air et des terres agricoles, au début du xxie siècle, les objecteurs de croissance s’inquiètent de la fin des réserves de pétrole et des conséquences de sa surconsommation sur le climat. Si, en 1973, les auteurs du film L’An 01 (tiré d’une BD de Gébé) s’inquiètent de la tristesse du mode de vie bagnole-béton-télévision, trente ans plus tard, V. Cheynet dénonce l’emprise publicitaire avec la revue Casseurs de pub et Paul Ariès pointe l’accélération de la société de consommation jusqu’à l’effondrement du désir (encadré ci-dessous). Tous insistent sur la nécessité de la réduction des inégalités, non seulement au nom des valeurs de fraternité et de justice, mais aussi pour casser la logique d’imitation des classes populaires de la consommation des milieux aisés, ressort de la société de consommation.

À rebrousse-poil de la vision positive de l’innovation technologique, les objecteurs de croissance reprennent la critique de l’intellectuel protestant Jacques Ellul s’inquiétant d’une technique devenue un système technicien incontrôlable. Ainsi, l’anthropologue Alain Gras ou le peintre Jean-Claude Besson-Girard (directeur de la revue des objecteurs de croissance Entropia) réfléchissent à l’imaginaire de la technique et de l’Occident, pointant que la recherche d’un autre imaginaire peut permettre des déviations hors de la technique actuelle.