Fruit d'un colloque tenu en Suisse, cet imposant recueil de participations, édité par deux professeurs de l'université de Lausanne, est articulé autour de la question du statut des animaux à l'heure des technosciences. La notion de « dignité de la créature », présente depuis 1992 dans la Constitution suisse, affirme en effet « la nécessité de fixer une limite à notre pouvoir de transformation et de manipulation des animaux ». Si les promoteurs de cette notion espèrent qu'elle ait une portée pratique analogue à celle de dignité humaine, elle peut être lue comme une invitation à poser des limites à l'exercice de notre pouvoir croissant sur la nature. On ne peut donc lire ce recueil sans entendre résonner les propos de Martin Heidegger, selon lequel la technique est un « arraisonnement » du réel et représente pour l'essentiel une « mise en demeure » faite à la nature de livrer ce qu'elle contient.
Toutefois, les questions abordées dans ces pages sont souvent d'ordre pratique : doit-on, par exemple, justifier l'interdiction d'expériences sur des animaux dont le but est de faire progresser nos connaissances avant de nous aventurer dans l'expérimentation sur l'homme ? La grande force de cet ouvrage reste néanmoins sa dimension de réflexion éthique : si en effet des limites doivent régir notre rapport aux animaux, elles ne pourront venir que « d'un ailleurs de la visée appropriatrice et à partir [...] d'un regard qui ne soit pas enchâssé dans le projet d'"arraisonnement" de la nature qu'est fondamentalement la technique ». Ce regard, c'est évidemment le regard éthique, qu'il nous faudra peut-être apprendre ou réapprendre pour surmonter les pièges du désir prométhéen des hommes et de la raison instrumentale.