La femme sans tête

Film argentin de Lucrecia Martel, 1 h 27, avec Maria Onetto, Claudia Cantero, Cesar Bordon…Sortie le 29 avril
Verónica a probablement tué quelqu’un par accident et n’a rien fait pour lui porter secours. Cette femme de la bourgeoisie provinciale, la quarantaine épanouie, devient alors absente au monde, comme s’il lui était impossible d’admettre la réalité de son acte. Après La Ciénaga et La Niña santa, Lucrecia Martel confirme ici son formidable talent de cinéaste de l’intériorité dans ce portrait d’une femme sous influence, pour qui tout bascule, sans que rien ait changé. Marchant dans les pas d’un Michelangelo Antonioni, la réalisatrice argentine investit l’image de sens. Décadrages, interstices, entrebâillements, vides : chaque plan œuvre à incarner la béance qui se fait dans Verónica. Alors même que la vie reprend son cours, qu’elle retrouve le quotidien dans sa banalité (les visites familiales, la gestion du foyer), se creuse la distance qui la sépare de ses proches. Film sur le non-dit, sur l’oubli et l’aliénation, La Femme sans tête travaille en creux, privilégiant le hors-champ, l’absence à l’image. L. Martel parvient de cette façon à introduire une étrangeté, chargeant son œuvre d’un sous-texte puissant. À l’écran, certaines silhouettes se déréalisent, deviennent fantasmagoriques et l’on ne peut manquer de penser au passé de l’Argentine et à ses comptes non encore soldés. Ni éviter de percevoir en filigrane la violence de rapports de classes où certains doivent s’effacer pour que d’autres puissent exister. Mais La Femme sans tête reste avant tout un portrait de femme saisissant, magnifiquement servi par le jeu subtil de Maria Onetto.