« L’homme, écrivait Michel Foucault en 1966, est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine. » Mille fois citée, cette prophétie inaccomplie visait la mort de l’humanisme philosophique moderne, au nom du fait que ses noirceurs étaient désormais dévoilées et la fragilité de son édifice reconnue. Malgré une certaine proximité, l’exception humaine dont Jean-Marie Schaeffer annonce la fin n’est ni moderne, ni particulièrement chargée de crimes : elle est simplement fausse. Ce que les sciences de la vie, la neurologie, la psychologie cognitive, l’éthologie animale et humaine ne cessent de montrer aujourd’hui, c’est que l’homme n’est pas si exceptionnel dans le règne du vivant, qu’il n’est que très partiellement le forgeron de son destin et de ses compétences. Mais de tels faits pénètrent difficilement la citadelle de la théorie ordinaire tout comme celle de la philosophie, barricadées qu’elles sont autour de ce que J.-M. Schaeffer appelle « la Thèse ». La Thèse, dans sa forme primitive, c’est le principe théologique selon lequel Dieu a fait l’homme à son image, et lui a conféré ainsi une nature différente de celle de toutes les autres créatures. Parmi ses conséquences : le divorce entre la matière et l’esprit, et la grâce faite à l’homme d’un esprit supérieur. La Thèse est ancienne, donc, bien antérieure à l’humanisme, mais elle en est la préfiguration.
J.-M. Schaeffer s’attarde sur le dualisme cartésien – un chapitre entier – : dans un monde fait de deux substances, la « matière étendue » et la « pensée », c’est la pensée qui fonde l’homme (« Je pense, donc je suis »). Tous ceux qui ne pensent pas « sont » donc un peu moins. Pour les modernes, la « nature humaine » devient sa culture, mais la Thèse est toujours là et on la retrouve au xxe siècle incarnée chez les phénoménologues : malgré la part faite au corps et à ses compétences, l’idée reste au fond que l’homme se distingue par une capacité de conscience supérieure.
Marc Olano