Analyser le foisonnement des pratiques et des représentations auxquelles a donné lieu un mince fragment de l'écriture sainte, tel est l'objet de l'enquête que mène Lucette Valensi dans ce livre stimulant qui se présente comme un « essai d'histoire comparée ». Tout commence par un récit de quelques lignes tiré de l'Evangile selon Matthieu : après la Nativité, l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui demande de partir avec Marie et l'enfant Jésus en Egypte afin de fuir la persécution d'Hérode. Sur la base de ce court schéma narratif, de nombreux textes apocryphes ont été rédigés jusqu'à la fin du Moyen Age, générant une multitude d'images et de pratiques de dévotion. Ainsi, « des textes non-canoniques ont nourri des lectures, des expressions et des pratiques pleinement orthodoxes ».
Sans céder à l'austérité qui caractérise souvent l'exégèse biblique, L. Valensi compare ensuite les interprétations que les chrétiens d'Occident, les chrétiens d'Orient et les musulmans ont donné de ce même épisode. Les différences - nombreuses - ne suffisent pas à dissimuler de surprenantes convergences. Sur les lieux supposés du parcours de la Sainte Famille en Egypte, musulmans, coptes et voyageurs chrétiens occidentaux ont pratiqué des rites identiques, plongeant dans les mêmes bassins, vénérant les mêmes reliques.
La sécularisation de la culture occidentale a rendu moins familier à nos yeux cet épisode de l'histoire sainte. Il n'est cependant pas exempt d'enjeux actuels. Pour les coptes, la mise en valeur des lieux de passage de la Sainte Famille en Egypte contribue aujourd'hui encore à cette « sacralisation de l'espace » qui leur permet de réaffirmer leur présence dans une société à majorité musulmane. Pour l'Etat égyptien, mettre en valeur les routes bibliques des bords du Nil est un moyen de développer le tourisme religieux en profitant du tarissement des pèlerinages en Palestine suite aux événements de la deuxième intifada.
Antonio Negri
Toni Negri est né en 1933 à Padoue (Italie). Jeune professeur à l’Institut de science politique de l’université de Padoue, dans les années 1960, il contribue à fonder une mouvance marxiste hétérodoxe, appelée l’« opéraïsme (1)», qui met l’accent sur le concept d’« ouvrier social ». Il est arrêté en 1979, lors d’une enquête sur le terrorisme. Alors qu’il est en prison, en juin 1983, il est élu député du Parti radical italien. Souvent critiqué en Italie, Negri jouit d’un certain prestige en France et dans les pays anglo-saxons.