La grève

Les conflits dans les transports nous le rappellent régulièrement : la grève est non seulement un outil de lutte sociale au service des salariés mais ses effets nous concernent tous, au point de susciter régulièrement des débats passionnés sur la nécessité, ou non, d’en réglementer davantage l’utilisation. Dans ce petit ouvrage qui se lit d’une seule traite, Guy Groux et Jean-Marie Pernot font un sort à deux thèses en vogue : le déclin des grèves serait aujourd’hui l’expression d’une société de plus en plus pacifiée, la faiblesse de la conflictualité serait le produit d’une économie au sein de laquelle le chômage et la précarité pèsent à ce point qu’elles tempèrent les velléités de protestations.
Pour défendre leur propre point de vue, les auteurs commencent par rappeler les origines de la grève, qui s’impose comme une forme d’action tangible au cours du XIXe siècle. Moyen d’imposer au capitalisme des limites à la logique du marché, la grève est à la fois un véhicule de solidarité et un instrument de régulation des métiers, du travail et de l’emploi. Pour comprendre ce fait social singulier, les spécialistes ont produit des théories qui éclairent différemment les conflits du travail : poids accordé au salaire, rôle de l’institutionnalisation des relations professionnelles, approche par les cycles économiques et politiques… Si le consensus analytique n’existe pas, il n’en reste pas moins une certitude : à s’en tenir aux indicateurs officiels livrés par le ministère du Travail, on assiste en France depuis le milieu des années 1970 à un déclin tendanciel des journées de travail perdues pour fait de grève. Notre pays est loin, pour cette raison notamment, de figurer en tête du peloton des pays européens en matière de conflit du travail.
Partout néanmoins la grève décline. En France, inégalement répartie selon les régions, les établissements ou les secteurs d’activité (la fonction publique ou les transports sont actuellement les fers de lance), la pratique de la grève prend place plus exactement dans un halo de « pratiques conflictuelles dont elle est de moins en moins le centre ». La grève n’est donc pas qu’un souvenir du passé. Mais elle n’est pas non plus la figure emblématique des luttes d’aujourd’hui. Comme l’indiquent plus encore l’invention tâtonnante de mobilisations européennes, c’est dans le registre des multiples formes de résistance qui composent le nouveau répertoire des actions collective (débrayages éclairs, manifestations, occupations, coups d’éclats médiatiques…) qu’il convient de comprendre ce que faire grève veut dire.