La guerre au Moyen Âge Entretien avec Philippe Contamine

Le Moyen Âge, souvent réduit à une parenthèse entre la chute de Rome et la Renaissance, a duré un millénaire. Une période riche en transformations économiques, sociales et militaires.

Un cliché tenace fait rimer Moyen Âge européen et violence… Peut-on dire de cette période, qui court sur un millénaire, qu’elle fut un temps de guerre continue ?

Incontestablement, la période médiévale, dans son ensemble, est un moment où la guerre n’a rien de honteux. Elle est une calamité, tout le monde en convient, mais en même temps elle est dans l’ordre des choses. Les gens de guerre dominent l’imaginaire. Le pouvoir temporel affiche toujours, organiquement, une dimension militaire. Un roi, un seigneur est, entre autres, un chef de guerre. Et même le pouvoir spirituel ne manifeste pas d’allergie fondamentale envers la guerre. On voit des abbés, des évêques endosser l’armure. Naturellement pour une bonne cause, dans les limites de la juste guerre.

Le Moyen Âge est l’époque de la chevalerie. Cette grande notion, à la fois sociale et technique, est censée représenter un certain nombre de valeurs : un noble est normalement un chevalier, et il se fait enterrer avec une pierre tombale le représentant en armure, avec éventuellement son épée. Les résidences des grands, ecclésiastiques comme laïcs, prennent l’aspect de maisons fortes, de châteaux… Or cela coûtait assez cher d’édifier ces grandes constructions, de les entretenir, de les faire garder ; et les donjons n’étaient pas un habitat très agréable. C’est donc que leur multiplication à partir du 10e siècle, qui se prolonge jusqu’à la fin du 15e, ce qu’atteste l’archéologie, signifie quelque chose. Quantité de miniatures médiévales représentent les paysages surplombés d’un château, quand ce n’est pas une ville fortifiée. Ce dernier élément est important : les vraies villes, les bonnes villes, sont des villes closes, de plus en plus closes. Et là encore, il faut les entretenir, les agrandir… Le tout atteste de l’omniprésence de la guerre.

Bien sûr, on constate des différences selon les périodes et les régions. On ne s’est pas battu partout et tout le temps. Si la guerre est l’horizon de la société médiévale, on s’est efforcé de trouver des moyens de la contenir. Elle a été limitée, d’autant qu’elle se faisait souvent avec de petits effectifs, à certains moments de l’année, généralement l’été… Et la multiplication des conflits n’empêche pas un essor de l’économie et de la démographie, de l’an mil au 14e siècle.

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C’est là un constat fondamental : la guerre est présente, mais elle est encadrée, assez soigneusement. Simplement, il se trouve que l’Occident médiéval est divisé politiquement – c’est la féodalité. Et cette foule d’entités politiques, qui ont le droit de guerre, qui peuvent attaquer, qui doivent se défendre, créent une situation différente de celle de l’Empire romain. Celui-ci disposait d’un immense espace pacifié et contenait la guerre à ses frontières. Au Moyen Âge, les frontières sont partout, à la suite à l’extraordinaire fragmentation de l’espace politique.

En suivant un plan chronologique, on peut distinguer plusieurs périodes : d’abord les grandes invasions, qui abattent l’Empire romain au 5e siècle. Quelles influences exercent les nouveaux venus, Huns, Goths…, sur la façon de combattre ?

La fin de l’Empire romain marque aussi le terme de la pax romana, faite de distinction entre civils et militaires, d’entretien d’une armée de métier. Au Moyen Âge, tout le monde a vocation à être guerrier. Porter les armes signifie que l’on est un homme libre. Le contraste est grand entre ces deux époques, et les migrations des peuples dits « barbares » ont une dimension militaire considérable. Les nouveaux venus scellent des arrangements avec les populations locales. Ils ne cherchent pas à tout détruire, souhaitent plutôt s’insérer dans ce qu’ils peuvent sauver du monde romain, pour l’utiliser à leur profit. Une nouvelle carte de l’Europe se dessine avec la création de royaumes. Les vaincus prennent le nom des vainqueurs, les Gallo-Romains deviennent des Francs, par exemple. Et les vagues d’invasions se succèdent jusque vers l’an mil : aux peuples germaniques succèdent les Hongrois, les Sarrasins, les Vikings… Les Neustriens s’assimilent aux vainqueurs et deviennent des Normands. Ce ne sont pas des processus d’extermination, mais plutôt de substitution et de mélange.