La guerre de Sécession (1861-1865) : premier conflit total ? Entretien avec Donald Stoker

Pertes massives, mobilisation des civils, dimension idéologique et politique, innovations technologiques et stratégiques, influence de la presse… Pour Donald Stoker, la guerre civile américaine préfigure par certains de ses aspects les conflits du 20e siècle.

La guerre de Sécession, de 1861 à 1865, a opposé les États-Unis du Nord – l’Union – aux États confédérés d’Amérique – la Confédération – regroupant onze États du Sud. Quelles sont les causes de ce conflit ?

La guerre civile états-unienne est avant tout le fruit d’une opposition au sujet de l’esclavage. D’un côté, le Sud prônait la progression de cette pratique dans les nouveaux territoires à l’ouest du fleuve Mississipi. De l’autre, le Nord cherchait à limiter son expansion.

L’esclavage était alors solidement ancré au sein de la société américaine. La Constitution rédigée en 1787 n’interdisait pas cette pratique et d’après les recensions de l’époque, le nombre d’esclaves atteignait les trois cinquièmes de la population totale. Mais des polémiques et des affaires judiciaires sur ces questions ont fini par causer des tensions entre pro- et antiesclavagistes, et entre Nord et Sud du pays. Des abolitionnistes* 1 du Nord et du Sud, qui appartenaient souvent à des institutions religieuses, aidaient clandestinement les esclaves en fuite. En 1859, John Brown, l’un des abolitionnistes les plus célèbres, s’entoura même de 13 hommes armés pour tenter de libérer des esclaves de l’arsenal Harper’s Ferry en Virginie. Il échoua et fut condamné à mort. Les partisans proesclavagistes du Sud, qu’on appelait les fire eaters, criaient, quant à eux, à l’ingérence dans leurs affaires et se croyaient victimes de la domination du Nord.

C’est finalement la victoire du républicain Abraham Lincoln à l’élection présidentielle en 1860 qui mit le feu aux poudres. S’affichant contre l’expansion de l’esclavage, il incarnait aux yeux du Sud une menace pour son mode de vie, bien qu’il ne fût pas contre l’esclavage en lui-même. La Caroline du Sud fit alors sécession, suivie quelques mois plus tard de l’Alabama, la Floride, la Géorgie, la Louisiane et le Texas, puis enfin de l’Arkansas, la Caroline du Nord et le Tennessee. Ils formèrent dès lors les États confédérés, qui furent à l’origine de la première attaque : le 12 avril 1861, contre des unités restées fidèles à l’Union à Fort-Sumter, dans la baie de Charleston en Caroline du Sud.

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La guerre de Sécession est souvent qualifiée de « tournant » dans l’histoire des conflits. Quelle est sa spécificité ? En quoi est-elle si différente ?

Le point central, la spécificité de ce conflit, c’est le sort à réserver à l’esclavage, qui forme le cœur du différend. Il faudrait connaître le détail de toutes les guerres pour savoir si un tel cas de figure s’est déjà produit. Mais à ma connaissance, c’est l’unique exemple. Les révoltes d’esclaves – réussies (comme celle d’Haïti en 1791) ou non (telle celle menée par Spartacus dans la Rome antique entre 73 et 71 avant notre ère) – ne sont pas rares dans l’histoire. Mais les conflits concernant le sort de l’esclavage sont beaucoup plus inhabituels.