La guerre constitue une forme de la violence armée opposant deux communautés organisées. Elle touche à tous les domaines de l’action humaine : de la politique au droit en passant par l’économie, la culture et l’art. En ce sens, elle peut ainsi être considérée comme un « fait social total ».
Ambivalence du fait guerrier
L’expression, forgée par l’anthropologue français Marcel Mauss, désigne les phénomènes sociaux « où s’expriment à la fois et d’un coup toutes les institutions ». M. Mauss fonda ainsi une théorie générale des sociétés à partir d’une étude sur le don. Avant lui, le sociologue Émile Durkheim avait adopté une démarche équivalente dans son analyse du suicide. Peu de sociologues contemporains se sont livrés à ce type d’enquête à partir du fait guerrier, à l’exception de Gaston Bouthoul, fondateur de la polémologie (du grec polémos, la guerre), mais son approche n’a pas fait école.
Souvent réduite à sa dimension militaire, la guerre est un fait social et anthropologique de grande ampleur qui engage l’idée que l’on se fait du lien social et plus largement de l’expérience humaine. Les Européens l’ont vécu dans leur chair au 20e siècle ; la situation actuelle en Ukraine, géographiquement proche d’eux, les renvoie à cette expérience traumatique qui a forgé leur environnement contemporain.
Cette ambivalence de la guerre, destructrice et créatrice, rejaillit dans le discours des témoins, des observateurs, des chercheurs : d’un côté, la guerre est vue comme une défaite de l’organisation humaine, une forme de régression et d’abaissement de l’humanité ; de l’autre, elle apparaît comme une épreuve de vérité où l’humanité se révèle à elle-même, sans apprêt, dépouillée de tout artifice : en 2022, face à l’agression russe, l’Ukraine se découvre nation, tout en subissant destructions et traumatismes. De manière générale, la guerre peut être le théâtre des pires crimes comme des manifestations les plus éclatantes de l’intelligence et de la grandeur humaines. En témoigne l’épreuve de la Shoah, pendant la Deuxième Guerre mondiale : certains hommes y ont dévoilé les penchants les plus noirs de l’humanité en se faisant les bourreaux des Juifs, tandis que d’autres se sont employés à sauver ces derniers, au risque de leur propre vie.
De multiples dimensions
La guerre peut donc être envisagée au regard de ses multiples dimensions.
➥ Dimension militaire. La guerre est un monde à part, qui engage des soldats, tantôt professionnels, tantôt « citoyens en uniforme », pour reprendre une expression de Raymond Aron. C’est aussi un temps à part, qui se distingue du temps diplomatique par des actes, de la déclaration à l’armistice, qui scandent son déroulement.
➥ Dimension politique. La guerre n’est pas à elle-même sa propre fin. C’est un moyen militaire mobilisé à des fins qui relèvent de l’action politique : prises ou protection d’un territoire, imposition d’une idéologie… En ce sens, elle est, selon la formule de Clausewitz, la « continuation de la politique par d’autres moyens ».
➥ Dimension économique. La guerre peut représenter une des conséquences de la crise économique ; mais il existe aussi une économie de guerre qui peut doper, plus ou moins artificiellement, la croissance. De même, la puissance économique d’un État est souvent liée à sa puissance militaire, comme ce fut le cas pour la Rome antique, l’Angleterre et les États-Unis.