> Georges-Elia Sarfati
Directeur de l’Efrate (École française d’analyse et de thérapie existentielle), traducteur de Viktor Frankl, chargé d’enseignement à la Sigmund Freud University et à la Faculté de médecine de Paris, il a publié un Manuel d’analyse existentielle et de logothérapie (Dunod, 2018).
Tout d’abord, pouvez-vous rappeler qui était Viktor Frankl ?
Un psychiatre viennois et un philosophe, fondateur de l’analyse existentielle et de la logothérapie. Il est le représentant de ce qu’on a appelé la troisième école viennoise de psychothérapie, après la psychanalyse historique fondée par Sigmund Freud et la psychologie individuelle d’Alfred Adler. Frankl fut le disciple de l’un et de l’autre avant de développer sa propre conception de la souffrance et du soin à partir de la fin des années 1920, et d’exercer dans sa propre clinique.
À Auschwitz-Birkenau, il mit en place des sessions très discrètes de psychothérapie pour soutenir ses camarades de déportation. Cette situation extrême corrobora ses perspectives déjà bien étayées depuis une dizaine d’années.
Il a relaté cette expérience dans Un psychiatre déporté témoigne, dont le titre français, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, est très accrocheur mais ne rend malheureusement pas compte de la gravité du contexte.
Qu’est-ce qui l’a amené à s’intéresser si tôt au sens de la vie ?
Il s’en explique dans son autobiographie, Ce qui ne figure pas dans mes livres : il raconte que la plupart des enfants et adolescents se posent la question du sens de la vie de manière éphémère, mais qu’elle était demeurée fondamentale pour lui, d’où son intérêt pour la médecine et la psychanalyse naissante. Tenir ferme sur cette conviction de jeunesse lui a permis de se situer par rapport à Freud et Adler. Pour Freud, l’être humain est mû par le principe de plaisir, et pour Adler, par le principe de puissance. Frankl considérait que ce ne sont que des expressions extrêmes de la recherche du sens, qui se caractérise avant tout par l’affirmation de valeurs authentiques, des « orientations de sens ». C’est une perspective plus philosophique, qui a renouvelé la médecine et la psychiatrie et a fait de Frankl un des grands pionniers de la relation d’aide.
Les TCCs de 3e génération, comme la thérapie ACT, placent la définition des valeurs personnelles au centre de la thérapie. Est-ce inspiré de Frankl ?
Entièrement ! Frankl est l’un des précurseurs des TCCs, mais a aussi inspiré les travaux de l’école de Palo Alto : par exemple, il a été le premier à théoriser les usages thérapeutiques du paradoxe. Il reste injustement méconnu en France, mais les choses sont en train de changer, grâce à ses traductions et au remaniement du milieu psy. Des perspectives inspirées par le questionnement philosophique et la recherche du sens sont en train de se frayer une place d’autant plus légitime que la souffrance de la plupart de nos contemporains n’est pas due à une pathologie structurée, mais à ce que Lacan appelait le mal-être.