Dans la perspective évolutionniste des auteurs du XIXe siècle et des débuts du XXe, l’histoire de l’humanité était scandée par une série de changements brusques : on distinguait ainsi la révolution néolithique (invention de l’agriculture), la révolution urbaine (apparition des villes, de l’écriture et, parfois, des États), beaucoup plus tard la révolution industrielle… Ces transitions brutales n’étaient en fait que des métaphores, et même les défenseurs de ces formules, tel Gordon Childe, n’ignoraient pas l’aspect progressif de ces changements. Aujourd’hui, l’archéologie ne cesse de faire la démonstration du caractère graduel de l’apparition de l’agriculture et, un peu plus tard, de l’émergence des civilisations. Ceci vaut également pour une activité dont on a cru pendant longtemps qu’elle devait avoir été inventée tardivement : la guerre. En effet, on a souvent laissé entendre que la guerre était apparue au Néolithique et pour des raisons bien concrètes : avec la naissance de l’agriculture, le surplus et la capitalisation contribuent à la création de « richesses », la terre, source de compétition entre les hommes. Mais cette conjecture matérialiste ne tenait pas compte des observations des ethnologues témoignant de l’existence d’autres motifs aux conflits entre des groupes humains par ailleurs dépourvus de richesses matérielles : vexations, insultes, transgressions de frontières, ruptures d’alliances, rapts de femmes ou d’enfants, etc.
L’archéologie montre aujourd’hui que la violence physique, pratiquée à des échelles et selon des formes diverses, est très ancienne dans l’histoire de l’homme, bien antérieure au Néolithique. Certes, nous ne connaissons pas les motifs de cette violence. Mais sa seule présence est déjà le signe d’un lointain enracinement. Entre la violence attestée au Paléolithique et la guerre des débuts de l’histoire, opposant de véritables armées, s’étend une large plage de temps au cours de laquelle il est possible de suivre la genèse du processus menant à la formation de véritables civilisations guerrières tournées vers la conquête, armes à la main.
Les premiers vestiges de morts violentes
Les plus anciens indices d’agression ont été relevés sur des ossements de Néandertaliens et sont à coup sûr attestés dès les phases anciennes du Paléolithique supérieur, environ 25 000 ans avant notre ère. Des représentations pariétales d’êtres anthropomorphes percés de flèches existent dans diverses cavités du Sud-Ouest de la France. Mais ce sont encore des cas de meurtres isolés. Vers la fin des temps paléolithiques, entre - 12000 et - 10000, une nécropole soudanaise, le Djebel Sahaba, montre les restes d’une soixantaine de sujets, dont près de la moitié portent des traces d’élimination par projectiles. Certains corps ont été criblés de flèches. Cela suggère fortement la pratique de massacres.