« La méthode cathartique n'est pas ce qu'on croit ! » Entretien avec Mikkel Borch-Jacobsen

On n’a pas fini d’en apprendre sur Freud ! Et notamment en ce qui concerne les premières pratiques freudiennes de l’hypnose, visiblement plus proches de la manipulation que de la psychanalyse…

Lors d’un précédent entretien pour le Cercle Psy, vous aviez annoncé que vous n’écririez plus jamais sur Freud. C’est plus fort que vous ?

Eh oui, j’ai rechuté ! Je promets de ne plus faire désormais de promesses… En fait, le projet de ce livre date d’il y a plus de trente-cinq ans, alors que j’écrivais une thèse sur Freud où je m’intéressais déjà à la question de l’hypnose. Les textes « pré-psychanalytiques » de Freud sur l’hypnose ayant été longtemps négligés et ignorés, j’avais voulu les traduire avec deux amis et en établir une édition critique détaillée. Mais les ayant-droits éditoriaux de Freud en France se sont opposés à l’époque à cette publication, sans doute parce qu’une telle approche historico-critique était sacrilège. La question d’une publication de ces traductions s’est reposée quand Freud est tombé dans le domaine public en 2009, mais mes deux co-traducteurs étant devenus entre-temps psychanalystes, ils s’y sont opposés à leur tour. Il a donc fallu faire retraduire les textes, en y ajoutant d’autres complètement inédits que j’ai découvert. J’ai également rafraîchi l’appareil critique et rédigé une introduction destinée à replacer ces textes de jeunesse de Freud dans leur contexte historico-biographique.

Que nous apprennent vos nouvelles recherches sur l’histoire, ou plutôt la préhistoire, de la psychanalyse ?

L’histoire traditionnelle de la psychanalyse explique que Freud, après avoir découvert l’hypnose chez Charcot à Paris (1885-1886), l’aurait utilisée à des fins de suggestion directe en s’inspirant de Bernheim (fin 1887), pour se tourner ensuite vers la remémoration sous hypnose de souvenirs traumatiques en s’inspirant de la « méthode cathartique » de Breuer (1889) et abandonner progressivement celle-ci au profit de la méthode des associations libres, c’est-à-dire de la psychanalyse « proprement dite »  (1893-1896). Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. En réalité, Freud a dès le début (fin 1887) utilisé ce qu’il appelait la « méthode Breuer », laquelle était en fait indirectement inspirée de Charcot (et accessoirement de Joseph Delboeuf), et visait non pas du tout la remémoration de souvenirs traumatiques mais leur oubli ou « effacement » sous hypnose. L’hypnose que Freud pratiquait avec ses premières patientes hystériques consistait en une véritable manipulation psychique, plus proche de certaines techniques hypnothérapiques contemporaines (Milton Erikson) que de la psychanalyse. Les premières percées psychanalytiques rapportées dans les Études sur l’hystérie ont donc été effectuées à l’aide d’une méthode qui devait beaucoup plus à l’hypnose de Charcot-Delboeuf qu’à la soi-disant « talking cure » de Bertha Pappenheim-"Anna O." par Breuer, qui avait en réalité été un échec total.