La Mise en scène de la vie quotidienne, 1956 Erving Goffman (1922-1982)

La Présentation de soi, est le premier tome de La Mise en scène de la vie quotidienne. Ce premier ouvrage du sociologue Erving Goffman impose d’emblée son auteur comme une figure majeure du courant dit interactionniste.

S’appuyant sur la thèse que Goffman vient de soutenir sur les formes de la communication interpersonnelle aux îles Shetland, en Ecosse, sur des travaux ethnographiques d’étudiants de l’université de Chicago, ou sur des exemples littéraires, La Présentation de soi est une tentative de décrire, classifier et ordonner les façons dont les individus lient au quotidien des rapports interpersonnels. Pour Goffman, ces derniers forment « la vie sociale qui s’organise dans les limites physiques d’un immeuble ou d’un établissement » : gestuelle, paroles, stratégies... Goffman file pour cela la métaphore dramaturgique : le monde social est un théâtre, et l’interaction une représentation. Pour bien la jouer, chacun recherche des informations permettant de situer son ou ses partenaire(s) d’interaction. Dès lors, « l’acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression ». Ainsi, lorsque l’on est invité à dîner chez quelqu’un pour la première fois, on participe à une véritable mise en scène : chacun s’efforce de tenir le rôle prescrit par la situation. En ces occasions, la maîtresse de maison soigne souvent son apparence ainsi que le décor domestique (en mettant par exemple des fleurs fraîches sur la table), ce que Goffman nomme la « façade ». L’espace physique est divisé : le salon ou la salle à manger, où a lieu la représentation, constitue la « scène » (ou « région antérieure »). La cuisine forme une « coulisse » (ou « région postérieure »), un lieu où la représentation est suspendue, où n’entrent généralement pas les invités. Les hôtes peuvent s’y « relâcher » (corporellement), préparer leur prestation à venir, voire se plaindre de la fatigue ou de l’ennui (« C’est long, ce repas ! »). La réussite de l’opération n’est jamais acquise d’avance : chacun essaie, au cours de l’interaction, de « garder la face » (faire bonne impression), mais il y a toujours un risque de la perdre. Il suffit pour cela d’un raté : perte de contrôle musculaire (bâillement, trébuchement), intérêt trop faible ou trop grand (oublier ce que l’on voulait dire, ou au contraire prendre les choses trop au sérieux) pour l’interaction, ou « direction dramatique maladroite » (décor inapproprié, apparition ou bien retrait de la scène à contretemps). C’est la force de ce livre que de jeter un regard distancié, clinique, sur ce « presque rien » que sont les détails de l’interaction. Il montre le parti que l’on peut tirer, en quasi-éthologue, de la simple observation des pratiques a priori les plus insignifiantes. Avec cet ouvrage, Goffman ouvre à la sociologie l’une de ses perspectives les plus fécondes.