Il est des œuvres qui ont dépassé leurs auteurs. Si André Brouillet, un peintre académique de la fin du XIXe siècle, a sombré dans l’oubli, son tableau Une leçon de Charcot à la Salpêtrière fait clairement partie de l’iconographie psychiatrique qui a marqué les esprits. On y voit Charcot présentant majestueusement à ses disciples fascinés une femme en blouse blanche qui semble défaillir. Blanche Wittman, la patiente, est en pleine crise d’hystérie.
Aux origines : Charcot
Avec Charcot, la psychiatrie naissante se dote d’un outil clinique et pédagogique hors pair : la présentation de malades. Un médecin examine un patient en public, faisant par là même la démonstration des symptômes de la maladie mentale.
En psychiatrie, pas de plaies béantes, pas d’épidermes purulents, pas d’organes à ausculter ; ni palpation, ni ablation. Pourtant Jean-Martin Charcot, neurologue et non aliéniste, qui occupe à partir de 1872 la chaire d’anatomie-pathologie de la Salpêtrière, procède bien d’une démarche médicale, descriptive et sémiologique. Il réhabilite, pour les besoins de l’expérience scientifique, une méthode plusieurs fois condamnée : l’hypnose. Au cours des séances d’hypnose, il démontre le caractère non organique des manifestations hystériques, où les paralysies apparaissent, disparaissent ou s’inversent. Ses leçons sont longuement préparées, et passionnent ses élèves qui pour beaucoup marqueront l’histoire de la psychiatrie : Joseph Babinski, Pierre Janet, Alfred Binet, Georges Gilles de La Tourette, ou encore Sigmund Freud. Le tout-Paris médical, mais aussi intellectuel, s’y rend : Maupassant, Zola, Daudet, les frères Goncourt…
Freud lui-même ne pratiquera pas la présentation de malades, cette méthode théâtrale et risquée n’étant sans doute pas à son goût. Il opte pour l’étude rédigée de cas, qui laisse à l’après-coup le temps de faire son œuvre et prête bien plus à l’élaboration théorique. Pourtant, au dessus de son divan de psychanalyste, dans son cabinet viennois, il accroche une reproduction du tableau de Brouillet : la leçon de Charcot à la Salpêtrière ne le quitte donc pas.