Entretien avec Edgar Cabanas, docteur en psychologie et enseignant à l’université Camilo José Cela (Madrid), auteur avec la sociologue Eva Illouz, de Happycratie (ed. Premier Parallèle, 2018).
C’est une charge frontale, sans nuance et totalement idéologique. En s’attaquant aux « chantres de la Psychologie Positive » et aux « psytizens » qui les suivraient apparemment en toute naïveté, les universitaires Edgar Cabanas et Eva Illouz se placent d’emblée sur le terrain qui est le leur, le politique. De leur point de vue collectiviste, la recherche du bonheur et la réussite permise et vantée par Martin Seligman et ses disciples « est l’un des traits les plus distinctifs de la culture nord-américaine » et sert le système néolibéral. C’est évidemment balayer d’un revers de manche le questionnement existentiel en marche depuis la nuit des temps, des philosophes Grecs aux sages taoïstes, nier les bienfaits de l’introspection et le désir de travailler sur soi pour créer de meilleures relations… et donc une société meilleure. Evacuer l’idée qu’un individu soit autre chose qu’une victime.
Il n’empêche. Même si ces critiques peinent à proposer une alternative appétissante, elles soulèvent des questions de fond que tout chercheur en psychologie positive et tout adepte doivent considérer : en s’industrialisant, et en s’associant à des désirs de mesure scientifique, cette forme de développement personnel a-t-elle perdu son âme contre-culturelle des débuts ? Ne sert-elle pas l’enrichissement de toute une population professionnelle qui, bien loin de chercher en profondeur, se contente de répéter des lieux communs d’une pensée lénifiante et soi-disant apaisée perdant toute acuité ? Avec cette interview d’Edgar Cabanas, voici pour la psychologie positive de quoi faire son autocritique… et peut-être progresser !
Quels sont selon-vous les pires aspects de la culture du Développement Personnel (DP) et de la Psychologie Positive (PP) ? Et les meilleurs ?
Les pires, c’est l’emphase que ces mouvements mettent sur la psychologie et le progrès individuels, déniant ainsi les réalités sociales qui y sont liées (par exemple les injustices structurelles, les inégalités…). C’est aussi l’adhésion aux solutions rapides, faciles et inintelligentes qu’ils proposent pour faire face aux difficultés quotidiennes. Ainsi, lorsqu’ils affirment qu’en trouvant du plaisir aux plus petits actes du quotidien, comme éplucher ses légumes (exemple tiré d’un article sur la pleine Conscience), on sera capable de réduire son anxiété et augmenter son sentiment de bien être. Enfin ils contribuent à créer les problèmes sociaux et psychologiques qu’ils promettent d’éradiquer. Le meilleur apport du développement personnel et de la psychologie positive, c’est qu’ils peuvent aider, à court terme, certaines personnes. Mais à moyen et long termes, mêmes pour ces personnes, il s’avèrent souvent décevants et contreproductifs.