On connaissait déjà le « burn-out », cet épuisement professionnel lié à une surcharge de travail. Malgré l’absence d’inscription de ce syndrome dans la nosographie médicale ou dans le tableau des maladies professionnelles, il fait aujourd’hui suffisamment l’unanimité parmi les spécialistes de la santé au travail pour être pris au sérieux (voir le dossier du Cercle Psy n° 16). Mais aujourd’hui voilà qu’un autre syndrome, similaire dans les symptômes mais aux sources opposées, serait susceptible de grignoter la société française, sans que nous nous en soyons jusque-là doutés : le bore-out.
Le terme vient de deux consultants suisses, Peter Werder et Philippe Rothlin, auteurs en 2007 de l’ouvrage Diagnose bore-out. Il avait à peine franchi les Alpes quand, début 2016, deux ouvrages l’ont déterré et introduit le « débat » (médiatique surtout) en France (voir le Cercle Psy n° 20) : celui du médecin généraliste François Baumann 1, qui s’inspire de sa clinique et a déjà travaillé sur le burn-out, et l’autre de Christian Bourion 2, rédacteur en chef de la RIPCO, la Revue Internationale de Psychosiologie et de gestion des Comportements Organisationnels (et qui n’a plus souhaité répondre à nos questions, NDLR). Selon eux, le bore-out renverrait à un épuisement professionnel provoqué par l’ennui au travail, du fait d’un manque d’activité (a fortiori en dessous de deux heures par jour), conduisant ainsi à une intense souffrance psychologique, de l’ordre de la dépression. François Baumann insiste : les patients rencontrés ne seraient pas pour autant paresseux. Au contraire, il s’agirait plutôt de personnes très actives, qui se retrouveraient donc très mal à l’aise dans cette situation. C’est notamment le cas de salariés trop diplômés pour le poste qu’ils occupent. Le bore-out aurait une symptomatologie proche de celle du burn-out à en croire le médecin, qui reconnaît néanmoins que la littérature médicale ne va pas toujours dans ce sens. Un « combat de chapelles entre psychiatres », selon lui. Il n’empêche que chemin semble encore long avant que s’établisse un relatif consensus autour du bore-out.
Car beaucoup doutent du concept, et surtout réfutent avec énergie la pertinence des statistiques évoquées dans cette affaire, notamment dans l’ouvrage de Christian Bourion. Celui-ci affirme entre autres que 30 % des travailleurs seraient potentiellement concernés. Cette statistique est issue d’une étude réalisée en 2007 par un site d’emploi belge, Stepstone, auprès de 11 000 Européens… « chercheurs d’emploi » * 3. Des répondants donc qui soit n’ont pas d’emploi, soit cherchent à en changer. Un biais qui explique sans doute ce chiffre bien alarmiste (voir encadré). C’est ce que pointe Emmanuel Abord de Chatillon, professeur des universités à l’IAE de Grenoble (Chaire management et santé au travail), qui s’est d’ores et déjà exprimé dans divers médias sur ce point.
Depuis la parution de l’ouvrage, il a eu l’occasion de collecter quelques données sur l’ennui à travers des diagnostics propres aux risques psychosociaux réalisés au sein des organisations dans lesquelles il intervient. Les détails doivent rester confidentiels, mais en attendant : « L’ennui semble davantage lié à la question de l’autonomie qu’à celle de charge de travail. On peut donc s’ennuyer même quand elle est importante. Ce n’est pas incompatible. » Ces données restent cependant encore bien circonscrites. « Il faut encore travailler sur ces questions-là… Mais si le bore-out existe réellement, tel que décrit, je pense que c’est sur des volumes très faibles. » L’occasion de demander un accès aux données de Christian Bourion : « Pour qu’un protocole soit scientifique, il faut l’ouvrir à tous. »