Historien et sociologue, Jordi Tejel est spécialiste des nationalismes et des minorités au Moyen-Orient, en particulier du mouvement kurde. Il a notamment publié La Question kurde : passé et présent, l’Harmattan, 2014.
La guerre en Syrie a donné une forte visibilité à la « question kurde ». Comment est née cette identité kurde ?
Au Moyen-Âge, l’identité kurde – la kurdicité – n’est pas encore associée à la langue. Elle dépend simplement de l’appartenance à une tribu kurde semi-nomade ou nomade. Il s’agit d’un statut social : ainsi, les premières chroniques de l’histoire des Kurdes se réfèrent uniquement à des princes et à de grandes confédérations tribales. En ce sens, les paysans sédentaires kurdophones ne sont pas considérés comme kurdes. La définition s’élargit au 19e siècle à d’autres sections de la société, les paysans et les femmes, notamment. Avec la publication en 1898 du premier journal kurde, intitulé Kurdistan, un questionnement de fond sur cette identité émerge. Les intellectuels cherchent à identifier les critères permettant d’en marquer les contours. Ce seront : la langue, une histoire héroïque symbolisée par des personnages importants (dont Saladin), un territoire, et les rapports avec les autres peuples de la région comme les Arméniens et les Turcs.
Après la Première Guerre mondiale, la kurdicité devient systématiquement associée à la langue. Les intellectuels kurdes se tournent vers les paysans et les femmes estimant qu’ils ont conservé une version « pure ». Mais aujourd’hui encore, certaines questions restent en suspens. Par exemple, les Yézidis sont-ils kurdes ? Selon les comités kurdes de Syrie et du Liban des années 1930, oui. Pour eux, la kurdicité ne dépend pas de la foi musulmane, mais de l’origine géographique et de la langue utilisée. Ils considèrent donc que les Yézidis seraient « plus kurdes que les Kurdes » car ils auraient conservé leurs croyances originelles (pré-islamiques), et de plus, leur langue rituelle est le kurde. Mais cette conception n’est pas partagée par tous.
Quelles furent les premières revendications du mouvement kurde ?
Sous l’Empire ottoman, et jusqu’en 1918, les différents comités kurdes ne demandent pas l’indépendance. Ils défendent simplement leur culture et se contentent d’une décentralisation administrative. C’est en 1919 qu’ils envisagent pour la première fois la création d’un État indépendant, au nom du principe universel d’autodétermination proclamée par Wilson puis Lénine, un espace dont ils dessinent alors les frontières pour la première fois, en réalisant des cartes géographiques pour délimiter leurs terres. En 1920, avec le désagrégement de l’Empire ottoman, les Kurdes ont l’opportunité de réclamer un État indépendant après la signature du traité de Sèvres, conclu entre les Alliés et l’Empire ottoman. Le texte envisage en effet la création d’un « État kurde indépendant ». Mais cette opportunité reste lettre morte.