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Pourquoi réformer la recherche française ?
Depuis la fin des années 1990, divers rapports ont mis en cause l’efficacité du système de recherche français. En janvier 2007, un rapport de l’Inspection générale des finances émettait un jugement particulièrement négatif : faiblesse de l’innovation technologique, peu de rendement économique du secteur public, timidité relative de la recherche industrielle, etc. En termes de retour sur investissement, on pouvait noter la baisse notoire des prises de brevets français : 5,5 % de la masse mondiale en 2006, contre 8,3 % en 1988. Mais surtout, soulignant la part de la dépense de l’État (2,1 % du PIB) et les effectifs relativement élevés des chercheurs du secteur public (162 000 sur 364 000), le texte agitait un doigt accusateur : gaspillage, mauvaise gestion, mauvaise organisation et manque d’évaluation des résultats. Tout en rappelant la nécessité d’aider la recherche privée, il préconisait des changements profonds : pilotage par projets, regroupement et autonomie des universités, simplification des financements, intéressement des chercheurs aux résultats, soutien aux doctorants.
Un rayonnement intellectuel contesté
Mais la recherche scientifique ne s’évalue que pour partie en débouchés technologiques. Elle existe aussi en tant que productrice de savoirs et de rayonnement intellectuel capable, par exemple, d’attirer des spécialistes et des étudiants du monde entier. Sur ce point, la recherche française n’affiche pas une santé éclatante. Selon le rapport de l’Observatoire des sciences et techniques (2008), sa part mondiale de publications n’a cessé de s’éroder depuis 1999, et sa part de citations dans des revues étrangères n’est pas très brillante : au bilan, son « impact » reste un peu inférieur à la moyenne mondiale. L’attrait de la France sur les étudiants étrangers, quoique grandissant, est inférieur à celui de l’Angleterre et de l’Allemagne. Quant à son palmarès en prix Nobel et autres récompenses, sans être déshonorant, il est moins brillant que celui de nos voisins britanniques et allemands, sans compter les États-Unis. Qu’on partage ou non ces diagnostics, ils illustrent une insatisfaction spécifiquement française. Mais c’est aussi à l’évolution des doctrines européennes que l’on doit le sentiment d’urgence du changement.
Un modèle dépassé ?
La plupart des textes ministériels soutenant la nécessité d’une réforme commencent par signaler que l’actuel système français date du lendemain de la Seconde Guerre mondiale et ne répond plus aux besoins de la compétition scientifique actuelle. Ce diagnostic vise en particulier certains grands établissements de recherche, dont le CNRS est un exemple, et la relative déshérence de la recherche universitaire.
Plus généralement, la « stratégie de Lisbonne », adoptée en 2000 par le Conseil de l’Europe manifeste un tournant global de la doctrine européenne de politique scientifique. Trois ambitions sont mises en avant : créer un espace européen de la recherche (EER), rattraper les leaders mondiaux (États-Unis, Japon) et orienter la recherche vers la satisfaction de la « demande sociale ». Des objectifs de dépenses sont fixés : en 2010 chaque pays de l’Union européenne devra consacrer 3 % du PIB à la recherche-développement (R & D).
Pour satisfaire à ces critères, en France, on conditionnera donc la croissance des budgets à de profondes réformes du système public : promotion de la recherche par objectifs, pilotage plus serré des établissements, et simultanément, mesures en faveur de la recherche privée (crédits d’impôts). C’est le sens général des réformes en cours.
Inspirations anglo-saxonnes
Parallèlement, un vent de transformation souffle sur les universités. En 1999, la déclaration de Bologne signée par 29 ministres européens affiche des objectifs d’unification des diplômes, mais aussi des ambitions plus grandes : compétitivité à l’échelon mondial, développement d’une économie du savoir, réponse à la demande sociale de travail sont les notions-clés d’une conception réformée de l’enseignement supérieur, tournée vers le marché, la concurrence et la professionnalisation des études.
L’université française, tiraillée entre centralisation, traditions disciplinaires, massification et paupérisation, ne correspond pas à ce modèle. Par ailleurs, elle souffre d’un certain manque d’attractivité, et le niveau de la recherche y est inégal. Après une première phase de réforme des études (licence-master-doctorat, « LMD »), il s’avère en 2007 que de grands projets de réorganisation administrative et scientifique lui sont destinés, s’inspirant partiellement des modèles anglo-saxons : autonomie des établissements, libéralisation des règles d’emploi, appel au privé, études payantes.
Quelles mesures pour la recherche publique ?
Les transformations engagées actuellement s’inscrivent donc dans des orientations très générales, prises au tournant des années 2000. Ainsi, la LOLF, loi de finance votée en 2001, ambitionne de soumettre toutes les dépenses publiques à des obligations de résultat. Ce sera donc un des principes directeurs du Pacte pour la recherche, formulé en 2004 et traduit par une loi en 2006, qui conditionne l’augmentation annoncée des budgets de recherche à la mise en place d’outils de pilotage du secteur public. La loi de 2006 réforme également les règles de coopération et, incidemment, agit sur les établissements de l’enseignement supérieur.
Agir sur le budget et le fonctionnement
De nouveaux organismes sont créés. Un Haut Conseil de la recherche scientifique et technique est chargé de donner les grandes orientations de la recherche. Son rôle est consultatif.
L’Agence nationale de la recherche (ANR) parallèlement aux établissements, reçoit et gère des crédits attribués à des projets de recherche à court terme dont certains sont définis en haut lieu, les autres ouverts aux propositions des chercheurs. Son volume de crédits, annoncé modeste en 2007 (358 millions d’euros), croît rapidement : 955 millions d’euros en 2008, 1,6 milliard annoncés pour 2009.
L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), opérationnelle en 2007, centralise la notation des établissements, des diplômes, des revues, des équipes et des personnels de la recherche indépendamment d’autres instances existantes (CNU, CNE, commissions du CNRS). Ses évaluations sont des expertises à partir desquelles les autorités de tutelle peuvent moduler crédits, carrières et créations de programmes.
À cela s’ajoutent des mesures incitant les universités à s’allier à des partenaires publics (« pôles de recherche ») ou privés (« pôles de compétitivité ») pour mutualiser leurs moyens, et des remises d’impôts destinés aux entreprises.
Au bilan, le gouvernement annonce, en 2006, une progression substantielle du budget de la recherche (+ 6 milliards d’euros en quatre ans), des créations de postes (6 000 sur quatre ans), en échange de l’adoption de ces nouvelles règles de fonctionnement, dont la mise en place prendra, évidemment, quelque temps.
Après les élections de 2007, d’autres mesures s’ajoutent : elles portent plus sur la réforme de l’existant que sur la création de nouveaux outils. D’abord, en août 2007, c’est l’annonce de la loi dite « Liberté et responsabilité des universités » (LRU), qui instaure l’autonomisation budgétaire des universités et modifie leur fonctionnement interne : elle dote leurs présidents de pouvoirs étendus, ouvre leur conseil d’administration à l’extérieur, autorise les fondations et en règle générale rompt avec l’uniformité des conditions d’étude et de gestion des carrières d’enseignement et de recherche. En échange – si l’on peut dire –, une augmentation du budget de l’État pour les universités est annoncée en novembre 2007 : + 50 % sur 5 ans, soit de 10 à 15 milliards d’euros. Car les universités restent très dépendantes du « contrat d’établissement » qui les lie à l’État.
En mai 2008, c’est la restructuration du CNRS en six instituts (plus deux déjà existants), qui est annoncée. Plus difficile à comprendre, elle a pour ambition de concentrer des moyens autour de disciplines où le CNRS excelle et d’en exporter d’autres. S’agit-il à terme de démanteler cet organisme atypique, ou simplement de provoquer des regroupements ? Pour l’instant, bien que la mesure ait pris partiellement effet, son impact n’est pas évident.
Pourquoi tant de révoltes ?
En octobre 2007, l’annonce de la loi LRU provoquait le blocage d’établissements par des étudiants et des enseignants. En mars 2008, une autre protestation s’élevait chez les chercheurs du CNRS, dénonçant le « démantèlement des grands établissements de recherche ». En novembre, le siège de l’ANR était occupé par des manifestants dénonçant la précarisation des emplois de chercheurs. Tout au long de l’année, une fronde se mettait en place contre les évaluations de l’Aeres. Enfin, en décembre 2008, un décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs mettait le feu aux poudres, et provoquait un vaste mouvement de grève des universitaires et des chercheurs, amenant au report du projet. Souvent résumée à une confrontation entre « conservateurs » et « innovateurs », cette série de conflits comporte en fait plusieurs facettes.
Côté économique, les annonces de moyens supplémentaires accompagnant les réformes n’ont – selon les intéressés – pas été honorées. Un communiqué du syndicat Sauvons la recherche indiquait, en décembre 2008, qu’une « loi rectificative » avait diminué de 2,2 % (500 millions d’euros) le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’année, entraînant la baisse des dotations et la non-création de postes. L’auteur ajoutait que l’on pouvait s’attendre à une baisse de 800 millions d’euros en 2009. Les chercheurs qui attendent des moyens en échange des réformes sont indignés.
Retour au dirigisme bureaucratique ?
Côté social, les réformes poussent à une « défonctionnarisation » partielle des activités de recherche. L’ANR, avec ses crédits sur projets, les contrats universitaires, les aides au privé et la menace voilée d’une conversion du CNRS en « agence de moyens » vont dans ce sens. Selon le cas, on y verra un progrès ou bien une forme d’abandon par l’État de la recherche fondamentale. Beaucoup de scientifiques français – même libéraux – ne cachent pas leur attachement à une recherche à long terme menée par des professionnels en poste.
Côté culturel, l’importation de méthodes managériales est mal reçue par une communauté habituée aux valeurs d’égalité, d’intérêt collectif et de mérite individuel.
Côté « politique » enfin, au sens de l’art du gouvernement. La communauté scientifique s’est construite sur l’affirmation de son indépendance quant à ses buts de connaissance et à ses méthodes. De ce point de vue, la réforme menée en France présente des aspects déroutants. Les outils de pilotage et de surveillance mis en place heurtent de front cette tradition, tout en se parant de messages d’autonomie et de libéralisme. De là à y voir une forme déguisée de retour à un dirigisme bureaucratique, c’est un pas que franchissent certains critiques, même mesurés comme le juriste Olivier Beaud. On se rappellera, il est vrai, qu’en affirmant l’importance de la « demande sociale », la « stratégie de Lisbonne » ouvrait la porte à une telle possibilité.