La sensation de déjà-vu

Remo Bodéi, trad. Jean-Paul Manganaro. Seuil, 2007, 192 p., 19 €
Phénomène banal et cependant complexe, cette expérience familière consiste dans l’intime conviction qu’une perception présente éveille le souvenir d’un passé impossible à identifier clairement. Il naît alors une impression d’étrangeté où les repères temporels habituels sont abolis et où se déploie librement le fantasme d’une autre vie. L’ouvrage du philosophe Remo Bodei revient sur les principales doctrines de la philosophie antique qui, à défaut d’en rendre compte explicitement, présentent des affinités avec le thème du déjà-vu : cela va de la « réminiscence » platonicienne à la théorie de l’éternel retour chez les stoïciens. Mais l’intérêt majeur de l’ouvrage consiste à montrer que les travaux scientifiques consacrés à cette sensation se situent entre le milieu du xixe et le début du xxe siècle, époque où le « déjà vu » est un objet d’enquête à la mode, qui occupe les psychologues cliniciens (Pierre Janet), les psychanalystes (Sigmund Freud), les philosophes (Henri Bergson), et mêmes les poètes (Paul Verlaine, Giuseppe Ungaretti). Les explications du phénomène se multiplient et le déjà-vu est tour à tour interprété comme un mécanisme physiologique résultant d’un dysfonctionnement cérébral, comme le symptôme de la réparation inconsciente d’un traumatisme ou comme l’expression d’une scission de la personnalité en lien avec un affaiblissement de la tension vitale. La richesse de ce livre tient à ce qu’il restitue et croise ces différentes grilles de lecture avant de proposer une interprétation renouvelée du concept de « déjà-vu ».