La théorie du cerveau miroir Entretien avec Jean-Michel Oughourlian

Et si nous avions un cerveau pour penser, un autre pour ressentir, 
et un troisième, le cerveau mimétique, gérant notre relation 
aux autres ? C’est la théorie du neuropsychiatre Jean-Michel Oughourlian. Sur quoi se fonde-t-elle ?

D’après vous, nous disposons d’un troisième cerveau qui dominerait les deux autres, le premier étant celui du raisonnement et le second celui de l’émotion. Comment ce troisième cerveau fonctionne-t-il ?

Le troisième cerveau est le cerveau miroir, le cerveau mimétique, celui qui gère la relation à l’autre. C’est celui de l’empathie, de l’amour mais aussi de la haine. Or, sui­vant ce que le troisième cerveau nous dicte, autrui de­vient pour nous un modèle, un rival ou un obstacle. Ensuite seulement, le premier cerveau habille cette relation de rationalisations, de justifications, qu’elles soient éthiques, religieuses, politiques ou philo­sophiques. Enfin, le deuxième cerveau l’habille d’émotions, de sentiments et d’humeurs qui peuvent être positives ou négatives. Je vous donne un exemple : je vous tends la main, vous imitez mon geste, qui est un geste d’ouverture, de sympathie. Vous me serrez donc la main à votre tour. Mon premier cerveau va habiller cette relation mimétique positive de rationalisation en se disant par exemple « Voilà quelqu’un de sympathique, nous allons pouvoir discuter, cette relation commence bien », et le deuxième cerveau, tel que je l’appelle, c’est-à-dire le cerveau émotionnel, va produire des émotions positives telles la sympathie et la bonne humeur. Nous allons ainsi entrer dans une relation amicale. Si, à l’inverse, vous m’aviez dit quelque chose de désagréable alors que je vous tendais la main, mon premier cerveau aurait immédiatement produit une rationalisation du type « Qui est cette pauvre fille, quel est le crétin qui l’a mise sur mon passage ? », et mon deuxième cerveau aurait sécrété des sentiments de haine, de mauvaise humeur. En ce sens, le troisième cerveau pourrait être considéré comme le premier, car c’est le premier à agir et il conditionne les deux autres !

A-t-on des preuves scientifiques de l’existence de ce « troisième cerveau » ?

Bien sûr. Dans les années 1990, des neurophysiologistes, notamment l’équipe de Giacomo Rizzolatti, de l’université de Parme, ont découvert, grâce aux progrès de l’imagerie médicale, ce qu’on nomme les « neurones miroirs ». Lorsque nous effectuons une action, celle-ci est rendue possible par la mobilisation de certains neurones qui, pour fonctionner, consomment davantage de glucose radioactif que le reste du cortex. Admettons que vous regardiez un quidam assis à une terrasse de café qui tend la main vers sa bière, s’en saisit, la porte à ses lèvres et la boit. Si l’on enregistre ce quidam par imagerie, une zone particulière de son cerveau s’allume, correspondant à l’action que vous avez sous les yeux. Si maintenant on enregistre votre cerveau pendant que vous regardez se dérouler cette action, on verra sur l’écran la même zone de votre cerveau s’allumer, de la même façon que chez ce quidam. On peut en conclure que, de façon automatique et obligatoire, votre cerveau reflète fidèlement l’activité du quidam qui effectue l’action. On peut visualiser la chose, c’est assez extraordinaire ! Nous sommes tous le jouet de mécanismes mimétiques sans en avoir conscience. Nous attrapons au fur et à mesure les désirs de l’autre à notre insu. C’est une maladie contagieuse. Si vous réfléchissez aux mots, « mimétisme » et « contagion » ont beaucoup en commun. Dans une foule, si quelqu’un se met à hurler, tout le monde a peur et part dans tous les sens sans même savoir ce qui se passe !