Les « souvenirs définissant le soi » sont censés être le reflet de ce qu'est vraiment la personne qui les énonce. Avec ses valeurs, ses buts et ses croyances. Or quatre chercheurs de l'Université de Liège soulignent l'intérêt clinique de ces souvenirs pour la prise en charge des patients souffrant d'un trouble dépressif unipolaire.
Il existe un type de mémoire, la mémoire autobiographique, nécessaire au maintien d'un sentiment d'identité et de continuité de soi dans le temps. Elle permet le stockage et la prise de conscience de toutes les informations personnelles relatives à notre passé. À ce titre, elle régit un continuum dont les extrémités sont composées, d'une part, des souvenirs phénoménologiquement riches et détaillés d'événements personnellement vécus dans un contexte spatial et temporel donné, territoire des souvenirs épisodiques, et, d'autre part, des connaissances générales sur soi (nom, âge, profession, aptitudes, goûts, etc.), domaine de la mémoire sémantique. Elle s'ouvre donc sur deux grands types de représentations, de sorte que la nature prépondérante (épisodique ou sémantique) de chaque souvenir autobiographique est fonction de différents paramètres tels que, par exemple, l'âge du souvenir (s'il est récent, sa composante épisodique sera plus forte) ou sa fréquence de répétition (s'il est souvent récapitulé, il tendra à la sémantisation).
Le sentiment de continuité de soi suppose une représentation cohérente de soi dans le passé, le présent et le futur. D'après le courant initié en 2005 par Martin Conway, de l'Université de Bristol, la mémoire autobiographique en est le bras armé, car une de ses fonctions clés est de garder une trace à long terme, stable et cohérente, de nos interactions avec le monde, c'est-à-dire de nos valeurs, de nos croyances, de nos objectifs. Le passé et le présent éclairant l'avenir, c'est à partir de ces éléments que nous pouvons nous représenter dans le futur.
Les événements les plus importants
Au sein de l'Unité de psychologie clinique comportementale et cognitive de l'Université de Liège (ULg), Aurélie Wagener, doctorante, Marie Boulanger, assistante, et le professeur Sylvie Blairy, présidente de la Clinique psychologique et logopédique universitaire, s'intéressent à une classe de souvenirs autobiographiques particuliers : les « souvenirs définissant le soi » (en anglais, self defining memories), concept élaboré en 1993 par les psychologues américains Jefferson Singer et Peter Salovey (1). De quoi s'agit-il ? De souvenirs autobiographiques dont on peut dire succinctement qu'ils caractérisent très bien une personne, qu'ils permettent de définir et d'expliquer qui elle est vraiment. Souvent récapitulés, ils présentent un lien direct avec une préoccupation persistante ou un conflit non résolu et sont révélateurs des valeurs, objectifs et croyances qui habitent un individu.
Dans un article (2) paru dans Acta Psychiatrica Belgica, Aurélie Wagener, Marie Boulanger, le professeur Sylvie Blairy et le professeur William Pitchot, du service de psychiatrie et psychologie médicale de l'ULg, rappellent que Singer parle, à propos des souvenirs définissant le soi, d'« enregistrements sélectifs des événements les plus importants de notre vie. » En voici un exemple : « J'avais 12 ans lorsque mon père m'a emmené au planétarium du Palais de la Découverte, à Paris. Lorsque j'y ai vu la représentation de la voûte céleste, j'ai été fasciné et j'ai su que j'entreprendrais plus tard des études d'astrophysicien. » Ou un autre : « Chaque fois que je rendais visite à mes grands-parents, je les voyais se disputer. Je me disais alors que la vie de couple n'était pas faite pour moi, que rien ne vaut la liberté, même au prix de la solitude. »