La bonne circulation des consignes et des informations est vitale en milieu hospitalier : le suivi et la cohérence des soins en dépendent et, au bout du compte, la santé du patient. Michèle Grosjean et Michèle Lacoste, sociolinguistes, ont étudié dans trois services la façon dont est assurée la communication de travail.
Il existe toute une série de dispositifs destinés à assurer la continuité des soins et la planification des tâches : dossier de suivi individuel du patient, tableau noir hebdomadaire, planning mural, etc. Les auteurs ont analysé les usages et les fonctions de chaque outil et les efforts pour routiniser et sécuriser les procédures.
Cette observation montre pourtant qu'au-delà des outils, la communication informelle et orale reste essentielle. Il est illusoire, selon cette étude, de croire que l'on peut mettre toutes les informations et procédures par écrit. A travers l'analyse de multiples situations, les auteurs montrent comment s'établit la complémentarité entre communications écrite et orale. Ainsi, lors des relèves d'équipe, beaucoup des conversations consistent en des demandes d'éclaircissements des messages écrits qui sont, par nécessité, laconiques. Dans le service de chirurgie, l'écrit sert de référence légale et historique, alors que l'oral a une fonction de mise en contexte de l'action. L'infirmière partante transmet à la collègue qui la remplace des informations orales sur le malade. Ces informations sont de nature thérapeutique ou psychologique : elles ne peuvent être consignées dans les documents écrits. Elles sont pourtant indispensables pour donner sens à certaines des indications écrites.
L'oral remplit également des fonctions d'ajustement et de négociation. Exemple avec cette infirmière de garde qui écrit sur le dossier de soins : « Prélèvement impossible, voir demain ». Au moment de la relève entre l'équipe de jour et celle de nuit, une conversation naît pour éclaircir ce message et finit par donner lieu à une négociation. Les digressions et plaisanteries servent, dans des conditions difficiles liées à la douleur et à la maladie, à exprimer et à réguler les tensions et les émotions. En définitive, l'oral est indispensable pour maintenir la « dimension de civilité et de négociation nécessaire au fonctionnement des collectifs ».
Références
M. Grosjean et M. Lacoste, « L'oral et l'écrit dans les communications de travail, ou les illusions du "tout écrit" », Sociologie du travail, n° 4, 1998.