La vague structuraliste Le flux et le reflux

En dix ans à peine, la vague structuraliste a traversé le vaste champ de la philosophie, de la littérature et des sciences humaines en France. Que portait-elle ?

Mai 1966, le troisième numéro de la revue Cahiers pour l’analyse ouvre ses colonnes à Jacques Lacan, qui écrit : « La psychanalyse comme science sera structuraliste, jusqu’au point de reconnaître dans la science un refus du sujet. » Apex, selon l’historien François Dosse, du mouvement qui porte la notion de structure aux quatre coins de l’horizon scientifique, l’année 1966 semble bien à Paris être celle d’une ivresse intellectuelle caractérisée : Roland Barthes affirme que les récits doivent être « déchronologisés », Tzvetan Todorov en appelle à une « science de la littérature », Maurice Godelier écrit que « Marx annonçait le structuralisme », Jean Pouillon suggère qu’il s’agit d’une mode inévitable, et Jean-Paul Sartre se fâche contre ce qu’il nomme « le dernier barrage que la bourgeoisie puisse encore dresser contre Marx ». Sartre n’a pas dit son dernier mot, mais le fait est que, pour plusieurs années, le structuralisme jouera le rôle d’attracteur universel pour tout ce que les sciences humaines et les lettres comportent comme spécialités : mathématiques, linguistique, sociologie, histoire, philosophie, théorie littéraire, rien ne peut plus exister sans se colleter au moins une fois avec le structuralisme.

Cinq sortes de structures

Et pourtant, la réalité et la consistance d’une telle science sont fragiles. Voici ce qu’écrit Claude Lévi-Strauss, un des plus éminents promoteurs de la chose, dès 1970 : « Il y a en France trois structuralistes authentiques : Benveniste, Dumézil et moi » ; quant à Lacan, Michel Foucault et Louis Althusser, ils n’en sont que par « l’effet d’une aberration ». Barthes, lui, n’est même pas nommé. Voila qui est sans appel et signale que, d’ores et déjà, l’édifice se fissure. Lévi-Strauss n’y échappe pas : dès 1968, Dan Sperber, sous couvert de lui rendre hommage, signale que le maître s’est arrêté en route et que son structuralisme ne dépasse pas la rigueur d’une banale analyse symbolique. Tout cela explique amplement que le structuralisme ne conforme pas, en réalité, une science unifiée, ni une méthode d’ailleurs. Au cœur de la période (1968), Jean Piaget consacra un petit livre à la question. Il distinguait cinq sortes de structures, selon leurs sources ou selon l’objet auquel elles s’appliquent : les structures mathématiques (théorie des groupes), les structures physiques et biologiques (physiologie, génétique), les structures psychologiques (Gestalt), les structures sociales (Talcott Parsons, Kurt Lewin), et – last but not least – les structures linguistiques (Ferdinand de Saussure, Roman Jakobson). Le structuralisme ne représente selon lui que le partage de quelques convictions sur le réel : il est intelligible, formé de totalités et ces totalités « font système », c’est-à-dire obéissent à des règles de transformation.