« Comment un fait est-il un fait ? » Telle est la question que se posent Bruno Latour et Steve Woolgar dans cet ouvrage qui fit date. L'idée était de comprendre comment se construit la science par l'étude d'un laboratoire américain de neuroendocrinologie, à la manière des anthropologues analysant les rituels d'une tribu africaine. Evitant de se poser la question de la réalité ou de la vérité des résultats, les auteurs décrivent le long processus qui consiste à mettre en oeuvre des routines, effectuer des manipulations sur des animaux, utiliser des machines onéreuses, pour aboutir à l'impression d'une simple feuille de papier, destinée à devenir une « donnée », un « fait » utilisé par un chercheur pour une démonstration scientifique. Pour les auteurs, ce qui compte dans ce processus de recherche, c'est « l'inscription littéraire » : les scientifiques ne sont pas des découvreurs de vérité mais plutôt des « écrivains » qui traduisent sur le papier leur propre environnement culturel avec pour but de convaincre les futurs lecteurs, pour que le laboratoire perdure et que leur carrière avance. Ainsi la découverte d'un pulsar ou d'une hormone serait un récit fabriqué au sein d'un « cadre » socioculturel, relevant d'une mythologie traditionnelle propre au laboratoire, laquelle inclurait des croyances, des habitudes, un savoir-faire, une tradition orale, des héros fondateurs et des révolutions.
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La Bibliothèque idéale des Sciences humaines.
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