Le berceau culturel des bébés Entretien avec Rosella Sandri

Au Sénégal, pendant deux ans, des praticiens spécialement formés observent régulièrement les interactions entre parents et bébés. L’objectif est de mieux prévenir les troubles du développement.


> Rosella Sandri

Psychologue, psychanalyste et formatrice à l’observation du bébé, elle a publié Le Bébé et son berceau culturel (Erès, 2018).


Comment l’envie de vous former, puis de former d’autres thérapeutes à l’observation du bébé, vous est-elle venue ?

Je suis psychologue, psychanalyste, et quand j’ai commencé à travailler en Italie et en Belgique, je m’occupais d’enfants autistes. Je me suis alors rendu compte que ces enfants, souvent sans langage verbal, pouvaient exprimer, à travers le corps et l’action, des niveaux très primitifs de la pensée. Je me suis dit que l’observation du bébé pourrait probablement m’aider à comprendre certaines de leurs formes de communication et m’ouvrir à une plus grande empathie pour eux. J’ai commencé à me former moi-même à l’observation du bébé avec tout un travail de réflexion et de recherche, et je me suis interrogée sur l’utilisation de cette méthode dans le cadre des psychothérapies avec des enfants autistes. Ces recherches ont d’ailleurs été publiées dans un livre qui s’appelle La Maman et son bébé, un regard (Ed. Césura, 2008, NDLR).

D’où vient cette méthode et en quoi consiste-t-elle ?

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Ester Bick 1, psychanalyste polonaise dans la mouvance de Melanie Klein, l’a développée en Angleterre au début des années 1950. Cette formation était à la base destinée à des psychothérapeutes, des psychanalystes, mais elle s’est très vite aperçue que beaucoup d’autres professionnels pouvaient également en bénéficier. Actuellement, cette formation est dispensée aussi à tous ceux qui travaillent avec des enfants, éducateurs, assistants maternels, puéricultrices… mais seulement ! Elle peut être aussi très utile à tous les praticiens qui entourent des adultes en souffrance psychique, parce que dans tout adulte vit encore un bébé ! Nous utilisons cette méthode de formation en Europe, principalement en Angleterre, en France, en Belgique, en Italie, en Amérique du Nord et du Sud, et ces dernières années au Sénégal, en Afrique du Sud et en Asie. Elle est aujourd’hui internationalement reconnue. Sa particularité est qu’elle accorde beaucoup d’importance au vécu émotionnel de celui qui observe. Concrètement, un observateur va passer environ une heure par semaine avec un bébé dans sa famille, de sa naissance à ses deux ans. Il observe, ne commente pas et ne prend pas de notes sur le moment. Par la suite, il rédige un compte rendu très détaillé de tout ce qu’il a pu voir et ressentir. Puis nous nous réunissons et nous partageons en séminaire nos observations, nos réflexions. Au Sénégal par exemple, le groupe se réunit 5 fois par an et travaille d’arrache-pied pendant une semaine. Lorsqu’il n’y a pas la même distance géographique, le groupe se réunit une fois par semaine. L’expérience d’observation et les élaborations dans le séminaire contribuent à aider les professionnels dans la prévention précoce des troubles du développement. Elles permettent une approche psychothérapeutique différente (car dénuée des prétentions du savoir) des pathologies graves, telles l’autisme ou la psychose infantile, mais aussi de la relation précoce parents-bébés.