Le collège de sociologie (1937-1938) Les apprentis sorciers

En 1937, dans la tourmente des avant-gardes, un groupe mené par Georges Bataille, Michel Leiris et Roger Caillois entreprit d’appliquer au monde moderne les leçons des sociétés primitives, inaugurant ainsi l’anthropologie du contemporain.

Entre 1937 et 1939, réunis deux fois par mois dans l’arrière-boutique d’une obscure petite librairie catholique de la rue Gay-Lussac à Paris, des sociologues, des philosophes et des écrivains formèrent une étrange communauté, entre société secrète et mouvement d’avant-garde. Ils vénéraient un seul dieu, la sociologie, qu’ils décidèrent de nommer « science sacrée ». Munis des outils de Émile Durkheim et de Marcel Mauss, qu’ils transforment à leur guise, ils s’en vont explorer les aspects les plus sombres de l’activité humaine : les tyrans, la guerre, le sacrilège… Trois fortes têtes, qui furent de toutes les grandes aventures intellectuelles de l’entre-deux-guerres, formaient le directoire du Collège de sociologie : Georges Bataille (1897-1962), Roger Caillois (1913-1978) et Michel Leiris (1901-1990). Le manifeste – de rigueur pour l’époque – qu’ils publièrent dans la revue surréaliste Acéphale précisait qu’ils organiseraient des conférences, formeraient une « communauté morale » et essaieraient d’appliquer les enseignements de la sociologie des sociétés primitives aux sociétés modernes. Parmi ses membres, on trouvait le philosophe Alexandre Kojève, Jean Wahl (alors directeur de la NRF), Pierre Klossowski, Denis de Rougemont (de la revue Esprit) et, dans l’auditoire, des personnalités aussi différentes que Walter Benjamin, Pierre Drieu la Rochelle ou Julien Benda.

L’esprit des années 1930

Cette aventure du Collège de sociologie fut celle d’une avant-garde succédant à plusieurs autres : Dada, le surréalisme, Le Grand Jeu, Minotaure, Documents, Acéphale… Ni mouvement politique, ni mouvement littéraire, ni véritable projet scientifique, son histoire est caractéristique de ce que l’historien Jean Touchard a appelé l’« esprit des années 1930 » : époque où l’on passait sans ambages de l’extrême gauche à l’extrême droite, du pacifisme au vichysme, mais aussi époque riche de questionnements fondamentaux.