Le laboratoire de Foucault

De nouveaux manuscrits de Foucault ont été récemment publiés dans lesquels on peut voir le jeune philosophe aux prises avec trois coordonnées fondamentales pour sa formation : la phénoménologie, l’histoire de la psychologie et ce qu’il nomme « la question anthropologique ». L’édition de ces textes a aussi été l’occasion d’une exploration plus approfondie du contexte d’émergence de la pensée de Foucault, avec sa part de contingence. Ainsi l’ouverture vers la psychologie et la psychiatrie paraît contingente : c’est presque un effet de la volonté du directeur du département de philosophie de l’École Normale Supérieure, Georges Gusdorf, immédiatement après la guerre, d’« ouvrir aux normaliens philosophes la porte du monde de la folie en sa réalité intrinsèque ».

Le jeune Foucault alla donc assister à des présentations de malades, et entra en contact avec des médecins qui s’intéressaient à la « psychiatrie existentielle ». Le manuscrit inachevé Binswanger et l’analyse existentielle (publié en 2021) témoigne de cet intérêt pour un psychiatre pour lequel la folie ou le rêve ne sont pas des phénomènes qu’il faut simplement référer au « normal » et à la veille, mais envisager comme des formes d’exploration du monde ou comme des variations fondamentales de « l’être-au-monde ». Mais ce texte témoigne aussi des insatisfactions de Foucault face à l’usage « relâché » de la phénoménologie et au discours de « l’amour » qu’il trouve chez Binswanger là où Heidegger conférait une place centrale au « souci ». Inversement, la thèse entamée sur la question du monde en phénoménologie, publiée en 2021 sous le titre Phénoménologie et psychologie, montre l’oscillation de Foucault, entre son goût pour la rigueur de la méthode construite par Husserl et le sentiment que celle-ci finit toujours par déboucher sur une forme d’anthropologie plus ou moins déniée. Or le cours La Question anthropologique montre la méfiance profonde de Foucault pour un discours confus, qui croit résoudre toutes les contradictions en promettant la libération de « l’Homme ». Alors, sortir de la philosophie même ? On savait que Foucault était devenu Foucault en abandonnant des essais d’ouvrages qui étaient essentiellement des commentaires au profit d’histoires des institutions disciplinaires, du traitement des « fous », des malades, des prisonniers, etc. Or l’œuvre posthume recelait la surprise d’un manuscrit entier, écrit après Les Mots et les choses, dans lequel Foucault revenait au « discours philosophique » (c’est son titre) pour élucider son statut propre.