Le libre arbitre n'est-il qu'une illusion ?

Le cerveau exécute, notre conscience se contente de lui emboîter le pas. Nous croyons être libres, mais nous suivons le mouvement initié par nos neurones. Voilà le paradoxe suggéré par de retentissantes observations neuroscientifiques. D’où les conclusions radicales de certains matérialistes : le libre arbitre n’existe pas !
En 1983, le neurophysiologiste américain Benjamin Libet réalise une expérience dont les résultats continuent à susciter des débats passionnés. Les participants ont pour instruction de pousser sur un bouton quand ils le souhaitent, dans un délai de dix secondes. Ils doivent également repérer sur une sorte d'horloge le moment où ils prennent la décision d'appuyer. On sait qu'un certain type d’activité cérébrale (le « potentiel de préparation motrice ») varie 500 millisecondes avant l'accomplissement d'un geste aussi simple que la flexion du poignet. Or, dans l'expérience de Libet, les sujets rapportent qu’ils ont décidé d’appuyer sur le bouton 250 millisecondes après cette variation. En d'autres termes, tout se passe comme si l’initiation du mouvement avait précédé leur décision consciente d’agir. Comme s’ils n’avaient en réalité rien décidé…
En mai 2008, Nature Neuroscience publie des résultats expérimentaux allant dans le sens de ceux de Libet, mais avec plus de force encore (1). Des volontaires, dont l'activité cérébrale est enregistrée au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), sont appelés à pousser au choix sur un bouton gauche ou sur un bouton droit, quand bon leur semble. Axel Cleeremans, directeur de recherches au FNRS (Fonds national belge de la recherche scientifique) et professeur de sciences cognitives à l'Université libre de Bruxelles (ULB), commente les résultats : « En mettant en relation tous les éléments recueillis, l’activité cérébrale de ces sujets permettait de prédire, dans 80 % des cas, la décision qu’ils allaient prendre (bouton gauche, bouton droit), jusqu'à dix secondes avant qu’ils n’en soient conscients. » Hallucinant et interpellant !
Le libre arbitre serait-il moribond dans son acception courante ? Peut-être pas. Pour sa part, Lionel Naccache, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM - Paris), propose une lecture, qu'il qualifie de « plausible », de tels résultats expérimentaux : «Il se pourrait que des schémas moteurs soient préactivés dans notre cerveau. Prendre une décision ne consisterait pas à produire quelque chose ex nihilo, mais à procéder à une sélection au sein d'un répertoire préexistant. Dans l'expérience de Libet, les participants savent que l'action à laquelle ils doivent penser est d'appuyer sur un bouton. On peut imaginer que cette action est préactivée en permanence, auquel cas il ne serait plus paradoxal de l’observer avant que le sujet prenne sa décision. » Il ne s'agit toutefois que d'une hypothèse.