Le marchand de sable est passé...

Les enfants rêvent beaucoup, mais il ont du mal à s’en souvenir et à en parler. Des psychanalystes aux recherches expérimentales, il a fallu inventer de nouvelles méthodes pour explorer l’univers onirique enfantin.

On a consacré assez peu de travaux aux rêves des enfants pour plusieurs raisons. D’abord parce que, contrairement à une idée reçue, il n’est pas sûr que l’enfant ait envie de se souvenir de ce qu’il a vécu durant la nuit car ce sont des cauchemars qui s’imposent le plus facilement dans sa mémoire (1). Plus important, il n’a pas toujours la capacité mentale suffisante pour mettre en récit son vécu nocturne. Enfin, l’aptitude et la manière de rêver ne cessent d’évoluer de la période fœtale à l’adolescence. On doit tenir compte pour les rêves des enfants de l’ensemble du développement mental alors que les rêves des adultes peuvent être étudiés pour eux-mêmes.

 

L’apport de la psychanalyse

Si nous nous limitons à une approche à visée « scientifique », tout commence aux environs de 1900. Sigmund Freud a inventé la psychanalyse en élaborant une théorie des rêves. Il s’est appuyé sur l’analyse d’adultes bien « mentalisés », capables de communiquer l’expérience de la nuit sous forme de récit oral ou écrit. Comme il analysait seulement des adultes, Freud a eu recours à des rêves observés chez ses propres enfants. C’est avec Anna, la plus jeune de ses filles, qu’il s’est servi des mots qu’elle avait prononcés au cours de son sommeil pour reconstituer le vécu du rêve de la nuit. Alors qu’elle était âgée de 19 mois, elle avait eu des vomissements. Elle avait été mise à la diète une journée entière. La nuit qui suivit ce jeûne, on l’entendit crier au cours de son sommeil agité : « Anna, F. eud, f.aises, g.osses, flan, bouillie. » Selon son papa, l’enfant avait pris une revanche alimentaire en rêve. En effet, la bonne avait mis son indisposition sur le compte d’une grande assiettée de fraises (2).

Ce cadre d’analyse suppose donc que les rêves de l’enfant ne peuvent être étudiés que lorsqu’il arrive à raconter ce qu’il vit. Et, si on relit les rêves d’enfants publiés par des analystes chevronnés, on s’aperçoit que l’adulte intervient beaucoup : le résultat est donc une « coproduction ». Il a aidé à mettre en mots, à organiser la narration. Il a aussi insufflé des aspects de sa propre pensée à l’esprit de l’enfant. La grande majorité des rêves d’enfants effectifs ne ressemblent pas vraiment aux récits publiés dans la littérature psychologique.

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Les enfants racontent rarement leurs rêves de façon spontanée. Ils s’expriment davantage en jouant. Ils se servent alors de représentations symboliques qui leur permettent de prendre de la distance par rapport à leurs fantasmes et leurs angoisses. Melanie Klein a eu l’idée d’analyser le jeu de la même manière que le rêve. L’enfant qui joue de façon créative réalise une élaboration et une transformation équivalentes à celles réalisées la nuit par le rêve.

La psychanalyse a montré qu’il existe au moins deux manières de faire revenir le passé dans le présent : soit pour s’en souvenir soit pour le mettre en acte. Cette distinction est plus incertaine chez l’enfant parce qu’il extériorise en permanence son monde intérieur. Le jeu permet aussi bien de se souvenir que de mettre en acte. Cela a conduit à étudier aussi bien la fonction du rêve que son contenu.

On peut ainsi distinguer deux grandes catégories de rêve : soit il sert à évacuer des contenus mentaux, soit il participe à une activité d’élaboration.

Au début de la vie, le bébé ne saurait se développer sans les soins maternels apportés tant à son esprit qu’à son corps. Il va bénéficier de la « rêverie maternelle » qui se déroule sur deux registres complémentaires : émotionnel et intellectuel. La mère se sert de sa grande empathie pour reconnaître et modifier les émotions et les sentiments qui animent son bébé. Elle l’aide à les distinguer et à leur donner un nom. Le bébé arrive ensuite à faire sienne cette manière de moduler et de réguler son vécu. Il se met à penser par lui-même.