Le MIT, capitale de l'économie

Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) est un lieu phare de la recherche en économie. Souvent contestée, l’institution est toujours parvenue à reprendre l’avantage sur ses rivaux.

Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) est la capitale mondiale de la théorie économique. Que dites-vous ? À l’heure où le monde est obstinément polycentrique et où les modèles économiques ne se discutent plus sur des nappes de papier, mais par courriels interposés, n’est-ce pas là un bel anachronisme ? Il n’empêche, le MIT est la capitale mondiale de l’économie. Cette affirmation péremptoire pourrait trouver une première justification dans les 14 prix Nobel (sur 38 !) remportés par les ressortissants de l’institution – de Paul Samuelson à Joseph Stiglitz, de John Nash à Eric Maskin – qui témoignent, à tout le moins, d’une influence remarquable sur la pensée économique. Mais, au-delà, elle est motivée par le constat suivant : bien que les économistes issus du MIT aient à plusieurs reprises défendu des positions férocement contestées de par le monde, l’institution est toujours retombée sur ses pieds, finissant, plus ou moins loyalement, par l’emporter sur ses adversaires.

Cambridge contre Cambridge

Au cours de l’après-guerre, au moins trois institutions ont tenté de contrer ce leadership. La première d’entre elles est le département d’économie de Cambridge (Royaume-Uni). Tenu par les postkeynésiens* de Joan Robinson et les néoricardiens* de Piero Sraffa, ce haut lieu de la pensée économique dite hétérodoxe lança dans les années 1960 une véritable bombe en direction de l’autre Cambridge (Massachusetts, États-Unis), siège des néoclassiques* du MIT. Ces derniers défendaient un modèle de croissance (celui de Robert Solow, prix Nobel 1987) selon lequel les mécanismes autorégulateurs du marché permettent à l’économie d’atteindre spontanément un régime de croissance de plein emploi. Les hétérodoxes britanniques pointèrent une difficulté logique dans la théorie néoclassique du capital qui mettait à mal l’autorégulation invoquée par R. Solow.
Après moultes répliques et contre-répliques, la controverse entre les deux Cambridge se solda par une victoire difficilement contestable des Britanniques. Pourtant, cet échec altéra peu la prééminence du MIT. La théorie néoclassique continua de s’y développer comme si de rien n’était. Théorie de l’information, fondements microéconomiques de la macroéconomie, nouvelle économie industrielle : trois décennies plus tard, le courant néoclassique a tellement proliféré qu’il a littéralement fait main basse sur les sciences économiques, reformulant dans son propre langage nombre de propositions soutenues par les hétérodoxes eux-mêmes.
Deuxième contestation, celle que menèrent les économistes latino-américains de la Cepal (Commission économique pour l’Amérique Latine) contre le libre-échangisme alors défendu par P. Samuelson (prix Nobel 1970), économiste étoile du MIT. Selon ce dernier, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans les productions pour lesquelles il a un avantage comparatif. Les États-Unis produiront des machines, l’Argentine du blé et chacun obtiendra par le commerce une plus grande quantité de ces biens que s’il les produisait lui-même. Faux, répondait l’Argentin Raúl Prebish, leader de la contestation « cépaline » : la tendance séculaire du commerce international est la dégradation du prix relatif des produits agricoles par rapport aux produits manufacturés. Si les pays du tiers-monde se cantonnent à produire les premiers, ils obtiendront des quantités décroissantes des seconds et pourront dire adieu au développement. Ils ont donc tout intérêt à promouvoir une production industrielle autonome, quitte à protéger leur marché de la concurrence des pays déjà industrialisés.


Le consensus de Washington, grandeur et misère

Le premier round de cet affrontement fut remporté haut la main par la Cepal et par tous les économistes qui, de l’Algérie à l’Inde des années 1960, incitèrent leur pays à rompre la « dépendance » des économies du tiers-monde vis-à-vis des pays capitalistes développés. Les « stratégies de substitution aux importations » qui essaimèrent au Sud ne tarirent cependant pas la dépendance à l’égard des équipements et des financements du Nord : le modèle de la Cepal vint buter sur la crise de la dette. Celle-ci plaça les économies émergentes sous la coupe de deux institutions internationales – le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale – qui conditionnèrent leur soutien à l’ouverture commerciale des économies endettées. Le libre-échangisme du MIT fut ainsi vengé.
La troisième contestation partit des États-Unis et de la théorie néoclassique elle-même. Au keynésianisme bon teint développé au MIT par le même P. Samuelson, Milton Friedman (prix Nobel 1976), professeur à l’université de Chicago, objecta que toute politique de relance économique se heurtait tôt ou tard à une réaction du marché qui en annulait les effets sur l’emploi : le seul résultat était in fine l’inflation. Les positions monétaristes de M. Friedman s’imposèrent. L’Angleterre thatchérienne et l’Amérique reaganienne furent conquises. Inspiré par l’école de Chicago, le cocktail austérité monétaire, privatisation, ouverture commerciale et financière devint le nouveau credo du FMI et de la Banque mondiale. Sous le nom de « consensus de Washington », il régna pendant deux longues décennies sur les politiques économiques froidement recommandées aux pays en développement.
Pendant ce temps, les économistes du MIT rongeaient leur frein. La contre-offensive avait commencé à germer avec les travaux de George Akerlof et J. Stiglitz (tous deux prix Nobel 2001), deux purs produits de l’institution : figures de proue des nouveaux keynésiens*, ils étudiaient tout un éventail d’« échecs du marché » pouvant justifier l’intervention de l’État. Depuis la fin des années 1990, suite aux crises monétaires asiatiques et aux résultats fort décevants des « bons élèves » latino-américains du FMI, la faillite du consensus de Washington est devenue patente. Le courant des nouveaux keynésiens pourrait bien rafler la mise en la personne du critique influent de la mondialisation néolibérale qu’est devenu J. Stiglitz, défenseur de traités commerciaux équitables, d’un protectionnisme ciblé et de la régulation des mouvements de capitaux.
Le choix, un peu arbitraire, de faire du MIT le personnage central de ce récit a au moins une vertu : raconter l’étonnant mouvement d’aspiration/dilatation par lequel une approche théorique largement façonnée aux États-Unis a réussi à marginaliser ses rivaux et à absorber en son sein un vaste éventail idéologique, du néolibéralisme à l’altermondialisme soft

 

 

Pour en savoir plus

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« La concurrence ne doit pas être une religion »

Entretien avec Jean Tirole, Sciences Humaines, n° 189, janvier 2008.