Le moteur religieux des sociétés

« L’invention des dieux fait les sociétés humaines », affirme Maurice Godelier dans son dernier ouvrage. Rencontre avec l’auteur.

« On peut donc avancer l’hypothèse inverse de celle de Marx », écrit Maurice Godelier à l’appui de l’ambitieux projet de recherche qu’il vient de soumettre à la Communauté européenne. Il y est question d’étudier le passage des « chefferies aux Empires », et de l’origine des « formes de l’État », en faisant collaborer l’ethnographie, l’histoire et l’archéologie des cinq continents. Curieux de savoir par quel cheminement il parvient à cette conclusion, nous lui avons posé la question, et avons consulté sa dernière publication (1), où il pose en termes concis les acquis de son parcours d’anthropologue.

 

Les évidences contraires

Lorsque M. Godelier, normalien, formé en philosophie et en économie politique, se tourne vers l’anthropologie vers 1966, il est alors considéré comme proche du marxisme et du structuralisme. Dans les années 1970, il publiera de nombreux textes et recueils sur l’économie précapitaliste. Lorsqu’il se rend en 1967 chez les Baruyas de Papouasie, il y étudie la monnaie de sel, l’économie domestique et les rapports matériels de production. Il retournera sur ce terrain pendant plus de vingt ans, et c’est au fil de ses travaux sur la parenté, les échanges et les rituels, qu’il bute sur des évidences contraires.

D’abord, explique-t-il, il découvre que les Baruyas, ne forment ni un ensemble de gens plus ou moins apparentés, ni les dépositaires d’une culture singulière, mais l’assemblage relativement récent dans l’histoire (trois siècles) de deux fractions de clans déplacées par une guerre tribale. « C’est à partir du moment où ils ont institué un rituel d’initiation commun et ont fait cause commune qu’ils ont formé ce que nous appelons aujourd’hui la société baruya. Ces rites répartissent l’ensemble de la société masculine comme féminine en classes d’âge qui en principe doivent coopérer entre elles. Par ailleurs, ils réaffirment la supériorité de certains clans sur d’autres. » Ces éléments fondateurs sont, comme le rappelle M. Godelier dans son opuscule, « à la fois religieux – parce qu’impliquant de s’adresser aux dieux, aux ancêtres et aux esprits de la nature – et politiques – parce que légitimant un ordre au sein d’une société qui réserve le gouvernement aux hommes ».