Le mythe de la panique

En sciences sociales, la notion de panique est habituellement associée à deux séries de faits : les catastrophes (tremblement de terre, incendie, attentat, etc.) et les crises boursières. Omniprésents dans les médias et au cinéma, les récits d'affolements collectifs sont, en réalité, relativement rares. Que ce soit lors d'un krach boursier ou lors d'une catastrophe naturelle, les gens agissent souvent en toute civilité et coopération.


C'était comme dans un film catastrophe, simplement en un peu plus irréel. La fumée et les débris tourbillonnaient autour des survivants du cataclysme du World Trade Center, au milieu des canyons de verre et d'acier de New York. Les médias ont parlé de chaos. Le terme semble coller à la réalité, car que pouvait engendrer un si imprévisible désastre, sinon de la panique ? Comme le raconte un ouvrier du bâtiment qui se trouvait alors au 34e étage de la tour nord , « le building entier tremblait. Des débris volaient. On entendit une explosion. Nous nous sommes rués vers l'ascenseur. C'était une panique de foule. »

Ce récit traduit un lieu commun. La panique serait ce que l'Oxford English Dictionnary définit comme « un sentiment excessif de frayeur [...] conduisant à des tentatives extravagantes ou inappropriées de se mettre à l'abri ». Souvent, l'idée d'un intérêt égoïste se rajoute à ce mythe : les personnes exposées sont tellement effrayées qu'elles se comportent sans considération pour leur sécurité ou celle de leurs voisins. Cette image offre néanmoins le mérite d'établir un lien nécessaire entre la peur et l'action irréfléchie, en pimentant le tout d'une dose d'égoïsme. En fait, de telles attitudes ne sont pas si fréquentes que l'on voudrait bien le croire.

Malgré tout, les producteurs d'Hollywood mettent en scène de gigantesques affolements collectifs dans les films catastrophes, les médias retracent des sauve-qui-peut lors d'incendies ou d'accidents d'avion, les hommes politiques tiennent pour acquise la propension de la population à paniquer de façon irraisonnée, comme le montre la réticence manifestée par la Maison Blanche à informer le public des risques liés à l'anthrax.

Nous bénéficions pourtant aujourd'hui des résultats de cinquante ans d'étude de la panique, et la conclusion est claire : les gens paniquent rarement... au sens habituel du terme paniquer. Même s'ils ressentent une frayeur excessive - un sentiment de terreur absolue -, ils s'épargnent souvent les tentatives extravagantes ou inappropriées pour se sortir du chaos. En particulier, il est peu probable qu'ils blessent leur prochain dans leur tentative de se protéger, risquant même parfois leur vie pour l'aider.

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Les films alimentent l'idée que les foules sont portées à la panique. Dans Independance Day (Roland Emmerich, 1996) ou Armageddon (Michael Bay, 1998), on voit les gens piétiner indistinctement amis et inconnus dans leur tentative de fuite. Ces mises en scène suggèrent qu'il existe un point de bascule, au-delà duquel les gens sont tellement dominés par la peur qu'ils vont faire passer leur sécurité avant tout autre sentiment. Après tout, la raison pour laquelle nous pensons qu'il est inapproprié de crier « au feu ! » dans un théâtre bondé - même si un incendie s'est effectivement déclaré - repose sur notre assomption que la bousculade qui va s'ensuivre ne manquera pas de faire plus de morts que les flammes. Dans les reconstitutions hollywoodiennes, la terreur fissure le vernis de responsabilité sociale des gens, laissant à nu l'égoïsme primaire.

Nos leaders contribuent à perpétuer de tels clichés. Alors qu'approchait le bug de l'an 2000, par exemple, politiciens et hommes d'affaires ont multiplié les déclarations. Il ne fallait pas agir n'importe comment, et surtout ne pas paniquer, il existait des solutions informatiques au problème. Alan Greenspan, président du Conseil de la Réserve fédérale, s'inquiétait : les gens allaient se ruer dans les banques pour retirer leur argent.

Les gens perdent rarement leur sang-froid

Les décideurs négligent parfois de faire état d'informations parce qu'ils croient qu'elles vont créer du désordre. Par exemple, lors de l'incident nucléaire de Three Miles Island, des cadres de l'administration s'abstinrent de dire au public, et même à des responsables gouvernementaux, à quel point la situation était sérieuse. Ils essayaient simplement de « faire baisser le niveau de panique et d'inquiétude ».

Le public, dans son ensemble, adhère aussi à cette conception. Des survivants de catastrophes - comme cet ouvrier du World Trade Center cité en introduction - interprètent les attitudes des autres, et même la leur, en termes de panique. Ce qu'ils reportent alors, pourtant, sont généralement des sentiments de peur, et non des attitudes frappées du sceau de la panique.

La vraie panique reste rare. Elle était peu fréquente même parmi les habitants des villes allemandes et japonaises bombardées durant la Seconde Guerre mondiale. Le Comité d'étude des bombardements stratégiques, fondé aux Etats-Unis en 1944 afin d'étudier les effets des attaques aériennes, rapporta des horreurs indescriptibles, décrivit la terreur et l'angoisse des populations piégées sous des torrents de flammes et des attaques nucléaires. Les chercheurs découvrirent qu'à l'exception de quelques fuites incontrôlées lors des incendies de Tokyo, très peu de gens avaient été en proie à la panique.