Le pauvre et le sociologue. La construction de la tradition sociologique anglaise XIXe-XXe siècles

Jacques Rodriguez, Presses universitaires du Septentrion, 2007, 246 p., 18 €
Pour raconter les origines de la sociologie, le regard se tourne habituellement vers l’Allemagne et vers la France. On a tort ce faisant d’ignorer le monde britannique. Il est vrai que la sociologie anglaise s’est institutionnalisée beaucoup plus tardivement qu’en Europe continentale, ce qui a contribué à son invisibilité. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, la sociologie qui se développe outre-Manche s’attaque à des problèmes sociaux majeurs (pauvreté, chômage, hygiène…) en association avec des partenaires institutionnels tels que les collectivités locales, des associations ou encore des sociétés à vocation philanthropique. Certes la sociologie anglaise brille peut-être moins qu’ailleurs sur le registre intellectuel. Empirique et soucieuse de transformer ses résultats en programmes d’intervention publique, elle a produit néanmoins de solides études. Pour retracer l’histoire de cette science sociale encore méconnue aujourd’hui, Jacques Rodriguez procède à l’examen des grandes étapes qui jalonnent son développement au long des deux derniers siècles.
Cinq moments phare sont ainsi distingués avec leurs enjeux majeurs (consolider le marché, révéler la pauvreté, penser la solidarité, bâtir l’État providence, réinventer le progrès social) et leurs figures de proue intellectuelles (John Stuart Mill, Herbert Spencer, Leonard Hobhouse, Alfred Marshall, Anthony Giddens). Pour chacune de ces périodes, J. Rodriguez montre que la construction des enquêtes, la production d’une théorie sociologique et l’invention de politiques sociales constituent autant de processus qui interagissent les uns sur les autres. Les grandes enquêtes sur la pauvreté menées dans la seconde moitié du XIXe siècle (par William Booth, Seebohm Rowntree…) ont ainsi pour ambition de fournir une définition opérationnelle de l’objet ainsi que des données statistiques fiables. Grâce à un tel matériau, les sociologues peuvent repousser les interprétations individualistes de la pauvreté et ouvrir la voie à d’autres formes d’intervention sociale que la simple philanthropie.
Suivant un fil d’interrogation assez similaire, la sociologie anglaise mènera ensuite enquêtes et réflexions sur des thèmes comme ceux, plus contemporains, de la protection sociale, du risque ou encore de la responsabilité. Cette lecture détaillée et étayée de la tradition anglaise bouscule les stéréotypes habituels sur l’histoire de la sociologie, et c’est tant mieux.