Le périurbain, pourquoi, comment ?

Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, la périurbanisation ne résume pas les dynamiques urbaines contemporaines, elle ne constitue nullement le « régime de croisière» de l’urbanisation. D’abord, parce qu’elle n’est qu’une des expressions spatiales de l’étalement, qui est ici associé à un développement de zones qui sont disjointes de l’agglomération préexistante. Ce n’est pas la modalité dominante dans le cas du sprawl nord-américain, qui se déploie pour l’essentiel au contact des espaces bâtis. Par ailleurs, le processus de « remplissage » des campagnes, actuellement massif dans les pays d’Asie en cours d’urbanisation rapide, procède par densification interstitielle in situ, au contraire de l’idée d’étalement. C’est ainsi que le Delta de la Rivière des Perles, qui comprend Canton, Hong Kong, Macao et plusieurs autres villes millionnaires, est en passe de devenir la première agglomération « morphologique » (c’est-à-dire continûment bâtie) du Monde, avec environ 50 millions d’habitants, résultat cumulé de la croissance des villes préexistantes et de la densification par urbanisation in situ des anciens villages. Le tableau (figure 1) résume les multiples processus qui caractérisent toutes les évolutions urbaines des dernières décennies. On y constate que la périurbanisation constitue un cas relativement spécifique au sein d’un mouvement global d’urbanisation.

Enfin, en Europe, on observe une tendance au tassement de la croissance des lotissements périurbains. En France, la périurbanisation se poursuit activement dans le sud-ouest, mais le mouvement s’affaiblit nettement en Ile-de-France, un peu moins autour des autres grandes aires urbaines. Ayant spécifié la définition et la portée du phénomène, essayons d’en comprendre les logiques.

 

Une histoire longue, des processus multiples

On a souvent associé l’étalement urbain à l’émergence de très grandes villes, les métropoles. La coïncidence de plusieurs phénomènes a pu être trompeuse à cet égard. Depuis le XVIIIe siècle, les villes européennes sortent de leurs murailles ou les abattent. La construction de tramways, puis de métros, suivie de la motorisation individuelle, a permis un accroissement des surfaces bâties d’une même agglomération. Ces deux événements ont permis de desserrer l’étau de la concentration obligatoire dans des enceintes réduites qui avaient marqué les premiers millénaires de l’histoire urbaine eurasiatique. Mais, pour que ces nouvelles possibilités soient exploitées, il fallait qu’il y ait une demande. La solvabilité progressive d’une partie importante de la population qui a rejoint une vaste classe moyenne dont les membres peuvent faire des arbitrages portant sur leur mode d’habiter a changé la donne. Les facilités de financement de l’accession à la propriété offertes par les législations ont fait le reste, avec un impact non négligeable. L’exode urbain (urban flight) a commencé au début du XXe siècle en Amérique du Nord et beaucoup plus tard en Europe, à la fois parce que l’accès à la propriété individuelle y était moins facile et que la résilience des centres historiques y a été meilleure.

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Depuis les années 1990, le modèle de la ville étalée et fragmentée en unités socialement homogènes, la Suburbia, s’est fissuré en Amérique du Nord, ce qui a eu pour conséquence un retour significatif des groupes les plus « créatifs » dans la zone centrale, mais c’est aussi dans cette période que se multiplient les gated communities, lotissements clôturés cooptant leurs habitants et installés sur les marges de la Suburbia. Au même moment, l’insécurité des rues poussait les habitants des villes latino-américaines qui pouvaient se l’offrir vers des condomínios fechados (« copropriétés fermées »), souvent sous forme d’immeubles de grande hauteur installés en zone dense.