Le regret d'être mère, cri du cœur ou provoc ?

« Faites des enfants ! » qu’y disaient ! Des mères osent le dire : si c’était à refaire, elles s’abstiendraient carrément…

Il n’y a guère de littérature psychosociologique ni de témoignages sur le sujet. Et beaucoup de psys se montrent réticents à s’exprimer en la matière. On pourrait croire qu’il n’y a nullement lieu d’émettre un quelconque doute quant à la parfaite équation maternité = bonheur. Et pourtant une enquête de 2015 signée par la sociologue israélienne Orna Donath révèle que l’on peut aimer ses enfants plus que tout… mais regretter de les avoir eus (voir encadré). Un coup marketing pour faire vendre du papier, un pétard mouillé allumé par quelques hystériques ? Les mères qui ont osé s’exprimer à ce sujet nous poussent, grand bien nous fasse, à nous pencher sur un sujet ô combien complexe et tabou. Et si le désir d’enfant était tout sauf conscient ? Et si, depuis des siècles, bien des femmes s’étaient tues ? Et si la condition de mère était à la fois la plus belle et la plus infernale qui soit ?

Casser le mythe de la mère parfaite

Mais alors, contrairement à la croyance universelle si bien répandue et entretenue, être mère ne serait pas la plus belle chose au monde, l’accomplissement féminin absolu ? Michèle Benhaïm, psychanalyste, professeur à Aix Marseille Université et notamment auteur de L’Ambivalence de la mère (Erès, 2011), rappelle que ne pas être comblé est le lot de tous les êtres humains et précise, concernant la maternité, que pendant le temps de la grossesse on peut avoir le sentiment qu’on est comblée, qu’on ne fait qu’un avec son enfant… mais que c’est une illusion. « On accouche et là, le vocabulaire est intéressant d’ailleurs, on dit ‘‘J’ai un enfant’’. Mais c’est exactement le contraire ! C’est justement le moment où on l’a perdu, où l’on ne fait plus corps avec lui, où l’on a en face de soi un sujet à part entière. L’arrivée de l’enfant vient rappeler à la mère qu’elle n’est pas comblée. C’est une perte nécessaire. L’amour maternel total est un fantasme. Je hais justement symboliquement mon enfant de me ramener à mon destin d’être manquant. Et le regret d’être mère est la version moderne de quelque chose qui n’est pas réglé au niveau de l’ambivalence. C’est compliqué de dire que l’on n’est pas heureux avec son enfant. C’est un peu provocant de dire je regrette. Mais il faut bien comprendre que deux scènes s’entrechoquent ! La scène sociale où ça arrange tout le monde, à commencer par les hommes, de dire que le boulot des femmes c’est d’être mère… Et cette pression résonne avec la scène psychique inconsciente, ambivalente. La pression sociale n’aide pas à ce qui se noue dans l’inconscient. Et la rencontre entre cette pression sociale et l’inconscient est explosive ».