« Immobiles au milieu de l’enceinte, les derviches semblaient s’enivrer de cette musique si délicatement barbare (…) ; enfin, l’un d’eux ouvrit les bras, les éleva et les déploya (…), puis il commença à tourner lentement sur lui-même. »
Comme l’évoque cette description de Théophile Gautier (Constantinople, 1853), les adeptes de l’ordre soufi Mawlawiyya (selon la terminologie arabe), connus sous le surnom de derviches tourneurs, fascinent depuis longtemps l’Occident. La Mawlawiyya est une des nombreuses branches du soufisme, une doctrine initiatique spécifique à l’islam. Quant au terme de derviches, il qualifie les adeptes du soufisme dans les cultures perse et turque. Les soufis, structurés en ordres dirigés par un maître, recherchent la communion avec le divin au fil d’exercices exécutés en assemblée, reposant notamment sur la psalmodie du nom de Dieu. Le samâ‘, la danse de la Mawlawiyya, se présente ainsi comme une forme particulière de psalmodie, vécue autant par le corps que par l’esprit.
En dépit de l’intérêt qu’elle suscite, la Mawlawiyya n’avait, à ce jour, jamais fait l’objet d’un ouvrage universitaire en France. Cette lacune est aujourd’hui comblée par une récente publication sur la doctrine, l’histoire et les pratiques des derviches tourneurs. Il était temps. Dans son ensemble, selon les auteurs, le soufisme souffre d’une perception décalée : « Considéré comme la tendance mystique par excellence de l’islam, (…) il imprègne d’une façon ou d’une autre toutes les sociétés du monde musulman. (Mais) les orientalistes se sont surtout intéressés à la doctrine des “grands maîtres”, projetant ainsi sur le soufisme leur conception individuelle et élitiste de la mystique. Or c’est surtout par son caractère démocratique et populaire que se caractérise le soufisme, connu en terre d’islam essentiellement à travers le phénomène des “confréries” (turuq, singulier tarîqa). »
Marc Olano