Le savoir et l'action

Les sciences sociales ne séparent jamais complètement la connaissance de leur objet et les actions qui en découlent. Cependant, dans l'analyse des organisations il existe au moins deux grandes postures possibles pour le chercheur : celle du scientifique qui poursuit principalement des objectifs de savoir, et celle de l'homme d'action, pour qui l'essentiel est de répondre aux besoins des entreprises et des institutions qu'il étudie.

Au sens étymologique du terme, « méthode » signifie « chemin qui mène au but ». C'est dans ce premier sens, constatatif, que l'entend Georges Dumézil lorsqu'il écrit, sous la forme d'une boutade maintes fois citée, que « la méthode, c'est le chemin après qu'on l'eût parcouru ». Mais, dans un sens dérivé, la notion de méthode peut avoir un contenu normatif, et désigner le chemin que l'on devra suivre pour atteindre un certain but. L'analyse sociologique des organisations l'emploie généralement dans ce second sens. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons à cela, dont certaines sont spécifiques à l'objet « organisation ».

La première de ces raisons est que, comme l'écrit Jean-Daniel Reynaud en 1993 1, « les sciences sociales ne sont pas des sciences physiques. Il n'y a pas de coupure, il y a continuité entre l'action sociale et la théorie qui en rend compte. » La continuité entre action et théorie confère à la méthode une place tout à fait centrale dans la démarche du sociologue : la simple présence du chercheur dans un milieu humain, par les questions qu'il pose et les réflexions qu'il suscite, est toujours une intervention. Cette caractéristique propre à l'ensemble des sciences sociales est encore accentuée lorsque l'objet observé est une organisation. Lorsqu'on interroge, au sein d'une population, des individus isolés et sans contacts les uns avec les autres, les questions posées peuvent avoir des effets sur les individus eux-mêmes, les amener à réfléchir sur leurs positions, transformer leurs attitudes dans un sens ou dans un autre sans pour autant que cela ait des conséquences immédiates sur les comportements collectifs. En revanche, l'organisation est un espace clos, un lieu d'interactions répétées. La présence du chercheur dans cet univers limité a presque toujours des effets immédiats, de telle sorte que sa méthode d'observation revêt une importance cruciale. Le choix d'une méthode constitue un enjeu majeur, qui renvoie à des postures de recherche contrastées.

Deux positions très opposées sont encore affirmées aujourd'hui qui peuvent susciter des débats très vifs au sein de la communauté des chercheurs. Pour les uns, la recherche ne peut admettre aucune compromission et doit être totalement indépendante de l'organisation qu'elle observe. Pour les autres, la recherche est avant tout une forme d'intervention, qui doit avoir des conséquences concrètes sur l'objet étudié.