Le siècle des saints-simoniens

Au milieu de quelques livres, c'est le crâne de Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), marqué par une tentative de suicide par balle, que découvre le visiteur de l’exposition consacrée aux saint-simoniens par la bibliothèque de l’Arsenal. Désespéré par son peu d’audience, le philosophe tenta, sans y parvenir, de commettre l’irréparable. C'est paradoxalement après sa mort en 1825 que ses idées gagnent du terrain grâce à quelques infatigables disciples – en particulier Olinde Rodrigues, le dernier secrétaire, Prosper Enfantin, Armand Bazard… C’est sur l'épopée des saint-simoniens que revient l’exposition à travers manuscrits, objets, cartes et tableaux… Très vite, la doctrine devient religion et l'histoire retiendra la retraite à Ménilmontant de P. Enfantin et son cortège d'excentricités… Mais l'héritage repose surtout sur l'influence déterminante qu’il exerce sur les élites au XIXe siècle. Les saint-simoniens prônent, outre une plus grande justice sociale, l'industrialisation de la France et participent au développement du chemin de fer, à la réforme du système bancaire, au projet du canal de Suez, ou à la négociation du traité bilatéral de libre-échange avec l’Angleterre de 1860… Tout cela est bien connu. La nouveauté est ailleurs. En amont. Car si le saint-simonisme a eu une certaine postérité, il a malheureusement masqué l’œuvre de Saint-Simon qu’il entendait promouvoir. Or, depuis peu, la philosophie revient sur celui qu’elle a longtemps boudé. L’atteste la publication récente du Nouveau christianisme, le dernier texte de Saint-Simon, et d’ouvrages qui s’attachent au système de Saint-Simon lui-même et non à l’idéologie à laquelle il a donné lieu ou à son influence, tel l’ouvrage de Juliette Grange, Saint-Simon, ou le livre tout juste paru de Pierre Musso, La Religion du monde industriel, qui cherchent à retrouver le vrai Saint-Simon et restituer l’ensemble de sa pensée… Il était temps.