Il est des mots qui résument une époque. La résilience est sans doute de ceux-là. Importée des États-Unis, la notion a connu, en l’espace d’une petite vingtaine d’années, un phénoménal succès en France. Et pas seulement chez les praticiens. La notion est aussi entrée dans le langage courant. Au point d’être désormais invoquée par tous. Pour tout. Qui s’en étonnera ? Comment ne pas souscrire à l’idée selon laquelle « les blessés de la vie peuvent déjouer tous les pronostics », comme aime à le répéter Boris Cyrulnik, lui qui a popularisé le concept en France dans les années 1990 ? Comment ne pas acquiescer à l’idée que tout traumatisme, même le pire, peut être surmonté ? La résilience ne pouvait, au fond, que plaire…
Et pourtant. À y regarder de plus près, elle est bien loin de faire l’unanimité chez les spécialistes de la psyché. Si les uns vantent la fécondité de cette notion transversale, d’autres au contraire y voient un concept fourre-tout, bien éloigné de la rigueur exigée par l’expérience clinique. Preuve des controverses persistantes qui l’entourent, on débat encore, plusieurs décennies après son apparition outre-Atlantique, de la manière de la définir, des facteurs l’encourageant ou encore de la façon de l’évaluer. Notion fétiche pour le grand public, la résilience reste paradoxalement difficile à appréhender sur le plan théorique.
Une notion évolutive
La résilience consiste, pour un individu fragilisé après un traumatisme, à se reconstruire et à reprendre le cours de son développement. Boris Cyrulnik, qui l’a fait connaître du grand public avec son ouvrage Un Merveilleux Malheur, paru en 1999 1, la définit comme « la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative ».
À l’origine du concept : Emmy Werner. Cette psychologue américaine a suivi 698 enfants nés à Hawaï en 1955. Parmi eux, 201 avaient été abandonnés, déscolarisés ou victimes d’agressions physiques et sexuelles. Après un suivi au long cours de plus de 30 ans, les conclusions de la praticienne sont sans appel : 94 % d’entre eux ne montraient aucun signe de troubles psychiques et se sont parfaitement intégrés socialement. La résilience, telle qu’elle la théorise à l’époque, s’apparente à une qualité. Dans son esprit, certains en sont dotés, d’autres non. La résilience s’apparente alors à la notion, ancienne et bien connue, de « tempérament ».