Le syndrome d'Olympia

Olympia est une créature de rêve. Imaginée en 1916 par l’écrivain allemand E.T.A. Hoffmann, elle fait son apparition dans le conte L’Homme au sable. Nathanaël, « un des plus jolis garçons et des plus studieux écoliers qui aient jamais brillé à l’université de Goettingue », tombe fou amoureux d’une fille aux allures de poupée. À ses yeux énamourés, Olympia incarne la perfection : des courbes affolantes, un minois sublime, un éclat magnétique. Son ami Sigismond le met en garde. La fille paraît bizarre, trop lisse, son regard est vide et sa conversation creuse. Nathanaël s’entête, fantasme et désire jusqu’au délire. Il oublie sa fiancée, Clara, et s’éloigne de ses amis. Il veut la main d’Olympia. Il découvrira trop tard que cette main-là est froide comme le marbre. Sous la beauté apparente se cache une mécanique diabolique. Olympia n’est rien d’autre qu’un automate. Un robot.

À l’âge des filtres et de l’intelligence artificielle, nos sociétés sont saisies par le syndrome d’Olympia. Nous sommes quotidiennement exposés à des beautés fausses, sans intériorité, qui intoxiquent nos psychismes tout comme les aliments transformés, aux calories vides, empoisonnent nos corps. Partout sur nos écrans s’affiche le même physique. Les yeux sont grands, le nez court, les sourcils dessinés, la bouche pulpeuse. La silhouette se veut fine et musclée, avec des fesses et seins gonflés. La peau n’a ni poils ni pores… La philosophe Heather Widdows dénonce une tyrannie qui impose désormais partout ses canons universels : « L’idéal de beauté est normalisant, naturalisant et homogénéisant. L’idéal mondial exige que vous soyez mince, ferme, lisse et jeune dans une combinaison ou une autre. »

Deux tendances favorisent ce phénomène : d’une part, la révolution numérique qui impose une puissante culture de l’image, d’autre part, la banalisation de la médecine esthétique, y compris chez des patients jeunes qui en appellent au bistouri aussi prestement qu’à la retouche de selfie. La ruse de l’histoire, c’est qu’au moment même où se déploie cette imagerie, un discours égalitaire vient instiller l’idée que la beauté, plurielle, serait accessible à tous. En y mettant du sien (et un peu d’argent), chacun serait capable de mettre en valeur ses propres atouts, se sculpter soi-même mais en mieux. Ces messages semblent contradictoires. L’un vise l’uniformité, l’autre l’éclatement des normes. Ils tendent vers une même injonction : faire porter à chacun le chapeau et le poids de son apparence. Si la beauté se travaille, nous en sommes responsables. Si elle se revendique comme un sujet de fierté, elle devient aussi un motif de honte.

Ainsi se diffuse sournoisement, dans toutes les strates de la population, un malaise lié à l’apparence, qui se décline en divers troubles. « Le beau, dit Rainer Maria Rilke, n’est que le premier degré du terrible. » Le conte d’Hoffmann se termine mal. Nathanaël bascule dans la folie, et dans un cliquetis, Olympia finit brisée en morceaux. 

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