Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine, Jean-René Tréanton : les quatre illustres sociologues étaient présents, le 26 novembre dernier, pour fêter l'anniversaire de la revue Sociologie du travail, qu'ils avaient fondée ensemble en 1959. L'occasion de réunir la « famille », mais surtout de dresser un bilan de la sociologie du travail et de ses évolutions.
Qu'est-ce qui a changé pendant ces quatre décennies dans l'univers du travail ? Si le travail industriel a perdu de son importance, c'est surtout la place du travail comme institution centrale de la société et comme point d'ancrage de la vie individuelle qui, à tort ou à raison, a été remise en cause. J.-D. Reynaud relève le bouleversement de la relation entre le salarié et l'entreprise. Naguère considéré comme source de valeur, le travail est devenu une marchandise. Une grande partie du droit du travail avait pour but de protéger le salarié contre les aléas de l'entreprise. Aujourd'hui, on cherche à l'assurer contre les imprévus du marché. Conséquence, une coupure entre ceux qui sont pris dans le « cercle vertueux de la compétence et de l'employabilité » et ceux pris dans le « cercle vicieux de l'exclusion ». Ce constat est confirmé par Jelle Visser (université d'Amsterdam) qui, en dressant un bilan des politiques sociales en Europe, montre que l'on est passé d'une approche redistributive ex post, à une approche ex ante, où on essaie d'« armer » l'individu avant de le « lâcher » sur le marché de l'emploi.