Du 16 au 23 mars 1811, dans plusieurs villages des Midlands, région du nord-ouest de l'Angleterre, une foule en colère brise plus de cent métiers à tricoter les bas. C'est ainsi que commencent les actions des « luddites », forme de résistance radicale à un développement technique considéré comme néfaste. Sous la direction d'un mystérieux « roi Ludd, général de l'armée des justiciers », les briseurs de machines vont organiser des troubles pendant plus d'un an dans plusieurs régions anglaises, avant que 17 exécutions et la déportation de 6 émeutiers vers l'Australie ne semblent calmer les esprits. Mais sans que soient levés les mystères sur l'organisation et les motivations des luddites.
S'appuyant sur les travaux d'Eric Hobsbawm, Nicolas Chevassus-au-Louis propose une réflexion à la fois historique et politique sur l'ensemble des mouvements luddites que l'on observe au XIXe siècle en Europe et aux Etats-Unis. On les a en effet longtemps caractérisés comme une résistance réactionnaire à la révolution industrielle. Mais leur refus du progrès technique est loin d'être évident, et l'auteur y distingue plutôt une forme d'action politique visant à une intégration régulée de la technique dans l'économie. Les « fauchages volontaires » organisés aujourd'hui par José Bové en donnent un exemple moderne : « De même que les luddites ne s'opposaient pas aux machines, mais à la déqualification du travail (...), les adversaires des OGM ne s'en prennent pas aux plantes transgéniques, mais à leurs conséquences. »
C'est l'occasion, pour l'auteur, de rappeler que toute introduction de nouvelle technologie (l'Airbus A 380, le viaduc de Millau, le projet de réacteur Iter pour ne prendre que l'année 2005) a des motifs et des conséquences politiques. C'est donc à une double réflexion qu'il nous convie : l'une ? historique ? sur les briseurs de machines, et l'autre ? politique ? sur les liens qui unissent technologie et société.