Comment l'intolérable le devient-il ? C'est la question à laquelle répondent les sept contributions réunies ici. Qu'il s'agisse du travail des enfants, de l'émergence de la victime ou du traitement du corps-mort, il s'agit de montrer, assez classiquement, que ce que l'on ressent spontanément comme injuste, inhumain, n'a pas toujours été perçu ainsi, voire que ce n'est que de date récente que s'est effectuée la bascule du normal ou du toléré à l'insupportable. Mais au-delà, ces études mettent en évidence, d'une part, qu'au centre des intolérables contemporains, qui naissent du « décalage entre une représentation de l'humanité et la réalisation de cette humanité », on trouve toujours le corps, « nouveau lieu du sacré (...) en ce qu'il est le point de jonction entre ce qui fait l'homme et ce qu'est la vie ». D'autre part, elles soulignent, en creux, combien la multiplication des intolérables multiplie, en retour, les tolérances face aux injustices les plus grandes, notamment celles qui différencient la valeur des vies humaines. La comparaison Occident/Afrique qu'effectue Jean-Pierre Dozon à propos du traitement de l'épidémie de sida (intolérable ici, tolérable là-bas où se concentrent la majorité des malades) met en évidence la dialectique sur laquelle se construisent les frontières de notre espace moral : « Pas d'intolérable sans tolérance à l'égard d'autres intolérables ».
Marc Olano