Dans un court essai paru en 2004, le philosophe de droite Alain de Benoist propose une critique argumentée de ce qu’il appelle à dessein l’idéologie des Droits de l’homme. Il y vise tout particulièrement la philosophie, à la fois universaliste et subjectiviste des Droits de l’homme contemporains 1. Comparant celle-ci à une sorte de nouvelle religion (il y voit, à l’instar de Régis Debray « la dernière en date de nos religions civiles, l’âme d’un monde sans âme 2 »), il note qu’elle se distingue par sa vocation particulièrement prosélyte. Parce que les Droits de l’homme se veulent une morale minimale applicable au monde entier « il paraît aujourd’hui aussi inconvenant, aussi blasphématoire, aussi scandaleux de critiquer l’idéologie des Droits de l’homme qu’il l’était autrefois de douter de l’existence de Dieu ». L’exercice lui semble donc périlleux, mais salutaire…
Pour de Benoist, la contradiction est rapidement devenue criante entre un texte à prétention universelle et la diversité des appréciations culturelles exprimées lors de sa réception, voire les conflits d’interprétation, qui ont vu le jour dans les années qui ont suivi sa proclamation (avec, par exemple, l’emphase mise sur les droits individuels et politiques pour l’Occident, sur les droits économiques et sociaux pour le bloc communiste, la concurrence des valeurs entre les civilisations avec l’apparition des « valeurs asiatiques » ou bien de la lecture « musulmane » des Droits de l’homme).
De Benoist remarque encore que les Droits de l’homme peuvent aussi se révéler contradictoires, que ce soit entre leurs différents principes ou entre leurs différents domaines d’application (le conflit potentiel entre la consécration de la souveraineté nationale et la promotion des droits individuels, toutes deux affirmées dans les DDHC de 1789 et de 1793 ; la concurrence jamais résolue entre les droits individuels et les droits collectifs pour la DUDH et ses suites).
Pour notre auteur, l’affirmation de l’universalité des Droits de l’homme ne représente donc rien d’autre que la conviction que les valeurs particulières de la civilisation occidentale moderne sont supérieures aux autres et doivent ainsi s’imposer au monde entier. Dénonçant la tentation récurrente de l’Occident à s’ériger en juge moral du genre humain, il y voit le masque de préoccupations plus prosaïquement économiques et marchandes. L’idéologie des Droits de l’homme serait devenue la simple « armature idéologique de la globalisation ».
Une idéologie politiquement et diplomatiquement inefficace
Cette critique radicale de l’idéologie des Droits de l’homme rejoint d’ailleurs, sur certains points, la dénonciation du « droit-de-l’hommisme »4 qui se serait déployé dans la diplomatie occidentale depuis quelques années. L’ancien ministre des Affaires étrangères socialiste, Hubert Védrine a beaucoup déconcerté lorsqu’il a publiquement critiqué ce présupposé moral « obligatoire 5 ». Il a ainsi exprimé son scepticisme quant à la réelle légitimité de la promotion politique et diplomatique des Droits de l’homme dans les pays qui n’y adhèrent toujours pas. Cette politique moralo-diplomatique d’origine essentiellement occidentale lui semble exhaler des relents d’idéologie coloniale mâtinée d’une sorte de messianisme non avoué. Les gouvernements occidentaux qui s’auto-investissent d’un rôle spécial en matière de Droits de l’homme (avec la promotion d’interventions humanitaires, du devoir de propagation de la forme démocratique, de l’énonciation de recommandations voire de jugements à l’intention des gouvernants étrangers sur leur manière d’appliquer ou non les Droits de l’homme, etc.), lui paraissent outrepasser leur rôle dans le concert diplomatique. Hubert Védrine compare cette diplomatie occidentale, encouragée par le récit américain, au « fardeau de l’homme blanc » cher à Kipling. La question qui se pose est alors double à ses yeux : il s’agit d’abord de savoir si cette mission auto-attribuée est véritablement légitime, mais aussi si elle peut être politiquement efficace…
La réponse lui semble être négative dans les deux cas. Et c’est sur cette question de l’inefficacité de la propagande « droit-de-l’hommiste » que Védrine argumente le plus. Il voit en effet dans cette politique une manière pour les pays occidentaux de se donner le beau rôle, aux dépens d’une réelle efficacité politique au niveau mondial. Elle apparaît comme une posture de repli, faisant office de politique de remplacement quand les gouvernements ne peuvent que prendre acte de leur impuissance à influer réellement sur les affaires du monde, que ce soit d’un point de vue politique, humanitaire ou militaire. Cette politique se résume donc à de simples discours, qui s’adressent d’ailleurs plus aux opinions publiques occidentales qu’à leurs partenaires ou rivaux étrangers…