> Daniel Dufour
Daniel Dufour a été chirurgien de guerre, puis coordinateur pour le Comité international de la Croix-Rouge. Il accompagne depuis 30 ans des victimes du Trouble de stress post-traumatique (TSPT), dont il a lui-même souffert et guéri. Il vient de publier Le Bout du tunnel. Guérir du trouble de stress post-traumatique (Editions de l’Homme, 2018).
Vous étiez chirurgien. Pourquoi avoir dévié, si je puis dire, pour vous intéresser au trouble de stress post-traumatique ?
J’ai exercé des années comme chirurgien de guerre sur tous les fronts. Et puis j’ai eu un problème avec mon bras droit, ce qui était le premier symptôme de mon TSPT (trouble de stress post-traumatique), même si je n’en avais pas conscience à l’époque. Comme je ne pouvais plus opérer, je suis entré au Comité international de la Croix-Rouge qui m’a envoyé sur le terrain, au Liban, en Iran, à la frontière afghane, pour le triage chirurgical auquel on se livre quand il y a de nombreux blessés : vous faites le tri des urgences mais aussi de ceux qui ne seront pas opérés, parce qu’ils vont mourir… Vous les désignez en quelque sorte en tant que futurs mourants. Et puis huit ans plus tard, alors que je poursuivais des études à Londres, mon trauma est remonté. J’avais des flash-backs, je voyais les visages de tous les gens que j’avais « sacrifiés » qui revenaient un par un, et je me suis demandé si je n’étais pas dingue. C’est là que j’ai découvert que je souffrais de TSPT. Mais à ce moment, c’était considéré comme un trouble anxieux. Il a fallu attendre 2013 pour qu’il soit officiellement défini et reconnu comme un trouble à part entière dans le DSM-5, la classification psychiatrique américaine ! Il y a 35 ans donc, j’ai décidé de me consacrer aux gens qui souffraient de stress et je me suis rendu compte grâce à mes patients que très souvent, pour ne pas dire à chaque fois, des émotions bloquées étaient en jeu. Vous perdez un proche, vous ne pleurez pas, et vous faites une pneumonie : je schématise à peine. Vous n’imaginez pas le nombre de pathologies qui ne se seraient peut-être jamais développées, des cancers, du diabète par exemple, si les gens qui en souffrent avaient su à temps écouter les messages de leur corps, leurs émotions, et avaient été accompagnés. Parfois, ces maladies se sont développées parce qu’un TSPT était présent sans que les gens en soient conscients. Parfois, ils ne le seront jamais. Parfois, ils vont se sentir très mal des années plus tard, d’un coup… Et c’est l’une des difficultés de diagnostic de ce trouble protéiforme qui laisse bien des psys dubitatifs et impuissants.