Mon fils a peur du noir. Ma fille n'a pas d'amis à l'école. Mon enfant n'arrive pas à se concentrer en classe : et s'il souffrait d'hyperactivité ? Ce trimestre, ses notes sont moins bonnes. Est-ce à cause de mon divorce ? Il y a quelques années encore, en France, de nombreux parents manifestaient une réticence à emmener leurs enfants consulter un psy (« le psy, c'est pour les fous », « si je l'emmène voir un psy, c'est que j'ai loupé toute son éducation »). Aujourd'hui, les demandes de consultation se multiplient, à vitesse exponentielle, au point que, dans certains cas, les séances chez le psy ponctuent l'emploi du temps au même titre que les cours de judo ou de piano. Docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et auteur du livre Un enfant heureux, Didier Pleux constate : « De plus en plus de parents nous sollicitent pour les problèmes de leurs enfants ». Y compris quand l'état de l'enfant ne le justifie pas : « Ils vont même chez les pédopsychiatres qui, normalement, traitent de difficultés ''psy'' majeures. Mais comme c’est remboursé par la sécu... » Corinne Ehrenberg est psychanalyste et directrice de l'Unité de Soins Intensifs du Soir (USIS), un hôpital de jour parisien qui accueille et prend en charge des enfants de 3 à 18 ans présentant des troubles du comportement et de la personnalité. Elle voit dans ces demandes croissantes une manifestation de « la place qu’a pris l’enfant au sein de la famille (puisque c’est lui désormais qui ''fait'' la famille), et en conséquence à l’attention qui lui est porté. »
Multiplication des lieux d'écoute
De fait, naguère considéré comme un adulte en miniature, l'enfant devient dès la fin du XIXe siècle l'objet de toutes les attentions. Chargé par le ministère de l'Instruction publique « d'étudier les mesures à prendre pour assurer les bénéfices de l'instruction aux enfants normaux », Alfred Binet créé une « échelle métrique d'intelligence », ancêtre du désormais incontournable test de QI. Dans les années 1920, la naissance de la psychanalyse des enfants a eu lieu dans une violente confrontation entre deux tendances. L'une représentée par les ambitions psycho-pédagogiques d'Anna Freud, dont le projet de concevoir un lieu de soins physiques et psychologiques aux enfants les plus pauvres donnera, en 1940, les Hampstead War Nurseries à Londres, crèches de guerre qui s'enrichiront d'une fondation, The Hampstead Child Therapy Course and Clinic, où se pratique et s'enseigne la psychanalyse des enfants. Et l'autre, défendue par Melanie Klein qui a bouleversé la pratique de la psychanalyse d'enfants en faisant du jeu, activité spontanée de tous les enfants, un équivalent du rêve et donc un accès de choix à leur inconscient, en postulant l'existence du complexe d'OEdipe et du surmoi dès le début de la vie psychique, et en affirmant qu'un très jeune enfant est capable d'un transfert, et se voit donc apte au traitement psychanalytique. Une génération plus tard, en France, la psychanalyste Françoise Dolto animera, à une heure de grande écoute, une émission de radio à travers laquelle, en répondant aux questions d'auditeurs toujours plus nombreux, elle contribuera de manière spectaculaire à démocratiser la prise en charge thérapeutique d'enfants. Dans le même temps, la pédopsychiatrie – qui avait pris son essor en France autour de l'école de la Salpêtrière entre les deux guerres mondiales – bénéficie des apports de la psychanalyse, des travaux de Jean Piaget sur les stades de développement de l'enfant puis, dès le début des années 1990, des découvertes des neurosciences et de l'imagerie cérébrale qui ont mis en évidence les capacités précoces du bébé et la diversité des stratégies cognitives chez l'enfant.