Dans tous les pays européens, les hommes sont plus favorables à l'introduction de l'euro que les femmes (dix points de différence entre les opinions positives des hommes et celles des femmes). Jean-Michel Servet, professeur à l'université Louis-Lumière Lyon-II, avance deux explications à cette défiance féminine.
Tout d'abord, l'euro, tel qu'il est évoqué par la presse, par les acteurs politiques ou par les responsables économiques, est présenté dans un vocabulaire et un environnement très « techniciens ». Il peut apparaître de ce fait comme une affaire d'hommes. La seconde explication est d'ordre psychosociologique. Elle est liée à un processus important dans le traitement cognitif des opérations monétaires : la construction des référents. Ainsi lorsque nous allons au marché, nous avons une connaissance approximative du coût du melon ou de la côte de boeuf, et de l'ensemble du système des prix (produits, marques, rapports de grandeur entre les prix...) qui nous permet de prendre des décisions d'achat rapidement.
A l'étranger, nous perdons ces référents, et nous sommes contraints d'effectuer des calculs de conversion pénibles et incertains.
Cette « mémoire des prix » va être à reconstruire avec l'arrivée de l'euro. Or, les femmes ont en la matière des responsabilités bien supérieures à celles des hommes, parce que ce sont surtout elles qui assument la gestion quotidienne du foyer. Elles se sentent donc plus menacées par les complications que laisse présager l'arrivée de l'euro. Ce résultat est un
des nombreux enseignements d'une vaste recherche sur les conditions psychosociologiques du passage à l'euro. Cette enquête montre que les angoisses liées à cette transition dépassent très largement les dimensions purement économiques et pratiques, qui sont mises en avant dans la communication des institutions et des gouvernements. La monnaie est un élément clé du lien social : elle a des dimensions symboliques, culturelles, identitaires qui devront, selon J.-M. Servet, être prises en compte par les responsables dans la conduite du passage à l'euro.
Références
Jean-Michel Servet, « Le passage à l'euro révélateur des limites de l'abstraction de l'argent », Communication au Colloque « Les sciences sociales et l'argent », organisé par l'ESCP et le Laboratoire de changement social,