Sciences Humaines : Peut-on parler d’empire américain ?
Gérard Dorel : C’est une question que se posent volontiers les observateurs des Etats-Unis mais beaucoup y répondent avec pas mal d’a priori idéologique, en général pour dénoncer « l’impérialisme américain » assimilé à une domination de nature coloniale, y compris sur des pays qui avaient construit de véritables empires coloniaux à l’échelle planétaire.
En terme purement géographique, les Etats-Unis ont une étendue qui la situe au troisième rang dans le monde, ce qui est un attribut, certes insuffisant mais nécessaire, du statut géographique d’empire. Mais au-delà de cette dimension géographique bien réelle de l’empire – qui au demeurant vient démentir cet « empire sans frontière » qu’évoquait Claude Julien en 1968 –, on ne saurait oublier les autres attributs de la superpuissance : d’abord, leur capacité à projeter partout dans le monde leurs « légions ». Plus encore, car plus efficace encore, leur puissance productive portée par un génie inventif jamais démenti. Leur ouverture aussi qui a attiré chez eux des dizaines de millions d’hommes de toutes conditions. Si on ajoute à cette panoplie les séductions de la « puissance douce », celle liée à la fascination qu’exercent leurs valeurs et leur culture sur des masses innombrables, nous achevons un inventaire qui fait une puissance impériale d’un genre très différent de celui des grands empires d’autrefois qui reposaient sur une simple domination politique et l’exploitation coloniale de vastes territoires.
Plus qu’un empire dont ils ont pourtant quelques attributs en termes d’espace géographique, les Etats-Unis sont d’abord une puissance hégémonique, incontournable tant sur le plan économique que géopolitique, sans pour autant être invulnérable… Ce que j’ai voulu souligner dans le sous titre de mon ouvrage : « Géostratégie de l’hyperpuissance ».